Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/104

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de son sentiment, vient de faire un examen peu indulgent de l’éloge de feu M.  le Dauphin par M.  Thomas. Cette bonne âme n’est point du tout contente de M.  Thomas ; elle trouve qu’il sent le brûlé comme un philosophe. M.  Thomas n’a contenté aucune classe de lecteurs par son Éloge du Dauphin. Les gens de la cour et les philosophes en ont été choqués par deux motifs différents. Les gens de goût ont été fatigués de voir l’orateur toujours dans les nues, et voilà les dévots qui s’en mêlent.

M.  Jean Aléthophile, c’est-à-dire, en français, M.  l’Amateur de la vérité, vient de publier un Examen du système de Newton sur la lumière et les couleurs. Volume in-8o de près de deux cents pages[1]. Je ne sais d’où vient ce beau livre, mais cela est de cru étranger. M.  Jean Aléthophile est doué d’une certaine platitude exotique qui ne ressemble point du tout à la platitude parisienne. Ce pauvre homme entreprend de prouver que le fameux Newton, avec toutes ses lumières, a donné dans l’erreur en toutes ses assertions sur la lumière et sur les couleurs, et quele vrai ne se trouve qu’en des points diamétralement opposés à ceux qu’il a prétendu établir, et que tant de gens sur son autorité tiennent pour certains.

Ainsi voilà Isaac Newton déclaré aveugle malgré ses lumières, et son prisme mis en pièce par M.  Aléthophile le clairvoyant. Il faut convenir qu’il s’imprime d’étranges bêtises en ce beau siècle philosophique.

— M. Théophile de Bordeu, qui est un autre homme que M. Aléthophile le clairvoyant, vient de publier un ouvrage intitulé Recherches sur le tissu muqueux ou l’organe cellulaire et sur quelques maladies de la poitrine, avec une dissertation sur l’usage des eaux de Barége dans les écrouelles. Volume in-12. M. de Bordeu est un homme de beaucoup d’esprit et un savant médecin, je ne dis pas un grand médecin, car c’est tout autre chose. Un grand médecin est un homme de génie à qui il faut un talent et un coup d’œil que la nature donne, et qu’on n’acquiert pas à force de science. On trouvera peut-être dans les écrits de ce médecin un peu de propension et de goût pour le paradoxe. Le désir de dire des choses singulières est un écueil

  1. Euphronople et Paris, 1766, in-8o. Attribué à Quériau, avocat.