Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/126

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ceux qui voudront me persuader qu’à la Chine on abandonne les enfants à peu près comme nous jetons nos petits chats ou nos petits chiens quand la portée de leur mère a été trop nombreuse. La population de l’Inde est immense, mais je ne l’ai jamais entendu citer comme un signe de bonheur de ces peuples et de la bonté de leur gouvernement. C’est que nous connaissons mieux l’Inde que la Chine, dont le peuple méfiant, rusé et fourbe, ne se laisse jamais approcher par les étrangers, et se refuse à tout commerce qui ne regarde pas le trafic, tout exprès pour donner occasion à nos faiseurs de systèmes de déployer les ressources de leur belle imagination. Remarquez que depuis Bacchus jusqu’à nos jours, tous ceux qui ont attaqué l’Inde l’ont conquise, sans changer ni la religion ni les mœurs, ni les lois, ni les usages de ces peuples ; et dites-nous si vous regardez cela comme un signe de leur bonté.

Pour oser s’assurer de quelques vérités concernant la Chine, sans l’avoir vue et examinée de ses propres yeux, il faudrait que nous eussions plus de monuments de leur littérature. Un seul de leurs livres, même mauvais, nous en apprendrait plus que toutes les relations des missionnaires ; mais nous n’avons que quelques extraits informes, fournis par le P. du Halde, dont le plus considérable est celui de la tragédie de l’Orphelin de la maison de Tchao, que M.  de Voltaire a mise depuis sur le Théâtre-Français[1].

Il vient de paraître un roman chinois complet, et avec tous les caractères de l’authenticité. Ce roman a été traduit originairement en anglais par un homme au service de la Compagnie anglaise des Indes, qui, ayant résidé longtemps à Canton, s’y était appliqué à l’étude de la langue chinoise, et, pour s’y exercer avec quelque fruit, avait entrepris cette traduction. Elle est de 1719. Le traducteur repassa alors en Angleterre, où il mourut en 1736. On n’a publié ce roman à Londres que depuis peu de temps, et M.  Eidous vient de le translater en très-mauvais français, suivant son usage[2].

Ce roman est extrêmement curieux et intéressant. Ce n’est assurément pas par le coloris, car il n’y en a pas l’ombre ; mal-

  1. Voir tome III, p. 82 et note.
  2. Hau Kiou Choan, tel est le titre du roman chinois, traduit en anglais par le révérend Percy. (B.)