Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M.  l’abbé Arnaud et M.  Suard, directeurs et auteurs de la Gazette de France, viennent de donner le dernier cahier de la Gazette littéraire, pompeusement surnommée de l’Europe. Ce journal se faisait sous la protection immédiate du gouvernement, et c’est peut-être ce qui a le plus nui à son succès. Les lettres, comme le commerce, n’ont besoin pour prospérer que de faveur et de liberté, et se passent très-bien de grâces particulières, qui souvent ne font que gêner. La Gazette littéraire a eu toutes les peines du monde à se soutenir pendant deux années, et, la dernière, elle n’a fait que languir. J’en suis fâché, car il y régnait un très-bon esprit, et c’était le seul journal de ce pays-ci qu’on pût lire. Les auteurs se proposent de faire un choix des meilleurs morceaux, tant de la Gazette littéraire que du Journal étranger, que M.  l’abbé Arnaud faisait précédemment, et de le publier en quatre volumes in-12[1]. Cela fera un recueil tout à fait intéressant et agréable.

M.  de Chamfort, qui remporta il y a deux ans le prix de poésie de l’Académie française, n’a pas eu le même bonheur cette année, où M.  de La Harpe lui a disputé et enlevé la couronne. M.  de Chamfort avait concouru par un discours philosophique en vers, intitulé l’Homme de lettres, qui vient d’être imprimé. Tout cela est assez ennuyeux à lire. Nos jeunes poëtes moralistes sont tristes à mourir ; et, si cela continue, je ne sais ce que deviendra la gaieté française. Ne peut-on donc prêcher la vertu sans tomber dans cet excès de tristesse, et sans faire bâiller tous ses lecteurs d’ennui ? Je suis le serviteur de ces prédicateurs-là.

J’aime mieux ce cher M.  Gaillard, qui a concouru par cinq pièces pour accrocher le prix d’autant plus sûrement. Ce sera pour une autre fois. L’Académie n’a accordé un accessit qu’à la plus triste de ces pièces : c’est une Épître aux malheureux, et c’est la seule imprimée. Eh ! pourquoi M.  Gaillard ne nous fait-il pas présent de son poëme sur l’Art de plaire, qui est un des cinq qu’il a envoyés à l’Académie ? C’est à celui-là que je donne

  1. Variétés littéraires, ou Recueil de pièces tant originales que traduites, concernant la philosophie, la littérature et les arts (par l’abbé Arnaud et Suard), Paris, 1768-69, 4 vol. in-12 ; réimprimées avec quelques différences, Paris, 1804, 4 vol. in-8o.