Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/130

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découverte à l’autre extrémité du globe nous sont venues, l’été dernier, à Londres, M.  de Bougainville, qui a fait deux voyages de ce côté-là, en a nié l’existence. En effet, ces Patagons n’ayant pas passé en revue à bord de son navire, il n’est pas obligé de les reconnaître en leur qualité de géants. Quoique M. Maty, secrétaire de la Société royale de Londres, nous en ait rapporté quelques titres assez authentiques, et que M.  Maty ne soit pas précisément un idiot, je pense qu’un bon Français n’osera croire à l’existence de ces géants, que depuis quelques jours qu’elle vient d’être confirmée par un Français qui a été de l’expédition anglaise. Ce Français rapporte qu’il a vu et fréquenté plusieurs centaines de Patagons, dont la taille commune est entre huit et neuf pieds de France. Il a présenté au roi une fronde dont cette nation se sert, et avec laquelle elle lance des pierres monstrueuses. Cette fronde n’est certainement à l’usage d’aucun peuple connu, et M.  de Bougainville, tout vaillant qu’il est, aurait de la peine à la soulever. Notre voyageur prétend que ce peuple de Patagons est fort doux, qu’ils se sont laissé mesurer sans humeur, qu’ils ont donné toutes sortes de marques de bonté à l’équipage, et que les Anglais se disposent à établir un commerce avec eux. Comme l’existence des géants est vraie depuis cette relation faite au roi, je parie que M.  de Bougainville ne tardera pas à les avoir aperçus dans un de ses précédents voyages.

L’Avant-Coureur, qui n’est pas le moins bête de nos journalistes, remarque finement, à ce qu’on m’a dit, que les Anglais n’ont fait courir ce bruit que pour couvrir un armement de quatre vaisseaux qu’ils veulent envoyer de ce côté-là. En effet, ces pauvres Anglais sont si bas, surtout sur mer ; ils ont si grand’peur des forces navales de la France et de l’Espagne, qu’ils ne peuvent risquer un petit armement qu’à force de ruses et de subtilités. Ils seront peut-être obligés de découvrir l’année prochaine une race de géants parmi les morues pour faire leur pêche de Terre-Neuve plus à leur aise. Ces pauvres Anglais, ils font pitié ! Au reste, puisqu’un dogue danois et un petit épagneul d’Espagne sont de la même race, je ne comprends pas la répugnance de M.  de Bougainville à reconnaître pour confrère un Patagon de neuf pieds, tandis qu’il accorde cet avantage sans difficulté à un petit Lapon aveugle et rabougri.