Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/147

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car tout ce que cet honnête chevalier a dit et fait dans sa vie est marqué au même coin d’originalité. Je lui dois en mon particulier beaucoup, car c’est un des hommes qui m’a le plus fait rire depuis que j’existe.

— Dans la disette qui règne cette année sur nos deux théâtres, les Comédiens italiens se sont adressés à M.  Favart comme à un autre Joseph, pour avoir du pain. M.  Favart leur a donné une espèce de pièce qui a été faite, il y a six mois, pour célébrer la convalescence de Mlle  de Mauconseil, après son inoculation. On vient de donner cette pièce sous le titre de la Fête du château, divertissement mêlé de vaudevilles et de petits airs, et, grâce aux danses dont on l’a orné, ce divertissement a réussi[1]. Il ne faut pas être bien difficile sur une bagatelle de cette espèce, ainsi je n’ai garde de la juger à la rigueur ; mais ce que je lui reproche, c’est de n’être pas gaie. M.  Favart use ici du secret du grand Poinsinet ; il croit que pour rendre une pièce gaie, on n’a qu’à faire dire aux acteurs qu’ils sont joyeux, qu’ils sont gaillards. Ces gaillards sont ordinairement d’une tristesse à vous faire pleurer d’ennui. C’est l’effet que m’a fait la Fête du château en général. Il est vrai que ce détestable genre de l’ancien opéra-comique, qui consiste en vaudevilles et en petits airs, ne manque jamais son effet avec moi ; j’en sors moulu, harassé, comme d’un accès de fièvre, et il serait au-dessus de mes forces de voir une pièce de cette espèce deux fois. Il y a pourtant un joli mot dans cette Fête du château. Colette, qui a tout lieu de craindre que son père ne la marie contre son inclination, veut employer le docteur Gentil, médecin, pour médiateur. « Du moins, je vous demande une grâce, lui dit-elle. — Quoi ?… — C’est de dire à mon père que je suis sa fille. » Ce mot est à la fois vrai, naïf et plaisant. Au reste, vous croyez bien qu’il est question d’inoculation dans cette pièce, et que M.  le docteur Gentil est un médecin des plus agréables et des plus à la mode, ce qui ne l’empêche pas d’épouser à la fin la concierge du château. Mlle  de Mauconseil, premier objet de cette fête, et dont la beauté mérite d’être célébrée par tous nos poëtes, va épouser M.  le prince d’Hénin, de la maison Le Bossu d’Alsace ; et cet événement donnera sans

  1. Il fut représenté le 2 octobre 1766.