Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/146

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France. C’est un des plus singuliers originaux qu’on puisse rencontrer. Il est d’abord plein d’honneur, d’une douceur et d’une candeur rares. Il a beaucoup de science, mais tout est si bien embrouillé dans sa tête que, lorsqu’il se mêle d’expliquer quelque chose, il dit des galimatias à mourir de rire et qu’il n’y a que lui qui puisse entendre. Il est d’ailleurs, en fait de distractions, au moins égal à ce M.  de Brancas du dernier siècle, dont Mme  de Sévigné raconte des mots si plaisants. Mme  Geoffrin, en nous faisant un jour un sermon sur la gaucherie, cita pour exemples le chevalier de Lorenzi et M.  de Burigny, tous deux présents, observant seulement que celui-ci était plus gauche de corps, et l’autre plus gauche d’esprit : ce qui fournit les deux points du sermon. Ajoutez à cela que le chevalier parle avec beaucoup de réflexion, et que son accent italien rend tout ce qu’il dit plus plaisant, et puis, écoutez :

Il y a quelques années que le chevalier de Lorenzi se trouve obligé d’aller à Lyon pour affaires. M.  de La Michaudière y était alors intendant. Le chevalier soupe avec lui tout en arrivant chez le commandant de la ville, qui le présente à M.  l’intendant. Il y avait à ce souper un ami intime de M.  de La Michaudière, qui, le traitant familièrement, l’appelait souvent La Michaudière tout court. Le chevalier imagine que cet homme dit à l’intendant l’ami Chaudière, et en conséquence il l’appelle pendant tout le souper M.  Chaudière, et malgré tout ce qu’on peut faire et dire, il ne comprend pas de toute la soirée qu’il estropie le nom de l’intendant d’une manière ridicule. Le lendemain, il est prié à souper chez M.  de La Michaudière. Il y avait beaucoup de monde, et entre autres, M.  Le Normant[1], fermier général, mari de Mme  de Pompadour, qui se trouvait à Lyon de passage. Comme le chevalier de Lorenzi ne le connaissait point, il demande à son voisin quel est cet homme qui se trouvait à table vis-à-vis d’eux. Son voisin lui dit à l’oreille que c’est le mari de Mme  de Pompadour. Voilà mon chevalier qui appelle M.  Le Normant M.  de Pompadour pendant tout le souper. L’embarras de tout le monde fut extrême, mais il n’y eut jamais moyen d’expliquer au chevalier de quoi il était question. Voilà son début à Lyon : On ferait un Lorenziana très-précieux,

  1. Le Normant d’Étioles.