Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/15

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Guillaume Vadé, résidant à Ferney. J’avais parié que M.  l’archevêque de Toulouse se dispenserait de faire le point d’orgue. Ce prélat passe pour avoir lui-même un grand faible pour les philosophes, et pour en connaître tout le mérite ; il me paraissait d’ailleurs bien indigne d’un homme d’esprit de ternir par ces déclamations puériles l’éloge de l’héritier d’un vaste royaume ; mais je me suis trompé, et j’ai perdu ma gageure : il est vrai que le point d’orgue de M.  l’archevêque de Toulouse est faible et exigu comme le reste de son ramage. Ce qu’il y a de plus beau dans cette Oraison funèbre, c’est une vignette, gravée d’après le dessin de Cochin, qu’on a mise à la tête, et qui a paru d’un grand goût.

On ne s’attendait guère à rire dans une occasion si lugubre ; le R. P. Fidèle, de Pau, capucin de la province d’Aquitaine, a cependant trouvé le secret de divertir Paris avec son oraison funèbre de M.  le Dauphin, prononcée dans l’église des Capucines de Paris, et publiée en même temps que celle de M.  l’archevêque de Toulouse. Ce capucin a de l’esprit, de la chaleur, et peut-être plus de talent qu’aucun de ceux qui se sont escrimés sur le même sujet ; mais comme il a partout le goût d’un capucin, il a été ridicule partout. Je suis persuadé que ce discours a fait le plus grand effet à l’entendre prononcer, et que les capucines s’en entretiennent encore avec admiration. Le capucin présente son héros sous tous les aspects : fils, époux, frère, guerrier, humain, savant, religieux, etc. Comme fils, il dit que Louis n’avait pas sitôt une insomnie que le compatissant Dauphin perdait le repos. Quant à la reine, il prétend que les cinq siècles passés ne virent point de telle mère, et il demande si les dix siècles à venir verront un tel fils. Question sentant l’hérésie, pour le remarquer en passant, surtout dans la bouche d’un capucin, qui doit croire la fin du monde prochaine, et ne pas s’attendre à dix autres siècles après un siècle aussi pervers que le nôtre. En qualité de frère, le capucin assure que les dames ses sœurs, qui sont par leur mérite et par leur rang au-dessus des asiatiques potentats, avaient dans son cœur une place de préférence. Pour peindre l’époux, il apostrophe la Dauphine elle-même : « Dites-nous, Ô princesse de douleur, si le Dauphin fut pour vous un prince du bel amour. » Comme guerrier, il le représente au milieu de la bataille de