Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/154

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voici ce que j’aurais fait à la place de M. Hume, qui était de tout point bien autrement avantageuse que la mienne. En recevant la lettre douce et honnête du 23 juin[1], à laquelle je pouvais et devais si peu m’attendre, moi, gros David Hume, je me serais d’abord frotté les yeux ; ensuite, restant un peu étourdi, mon regard serait devenu aussi fixe et aussi prolongé que ce jour à jamais terrible et mémorable où David regarda Jean‑Jacques ; mais, ce mouvement de surprise passé, j’aurais mis cette lettre dans ma poche. Le lendemain, j’aurais écrit à mon ami Jean-Jacques pour le remercier de la bonne opinion dont il m’honorait et de la couleur qu’il savait donner à mes services et à mes plus tendres soins, et puis je lui aurais souhaité le bonsoir pour toute sa glorieuse vie. Le surlendemain, je n’y aurais plus pensé, ou si j’en avais ressenti quelque peine malgré moi, j’en aurais écrit à Mme la comtesse de Boufllers à Paris, pour la remercier de m’avoir empâté d’un aussi joli sujet. Mais, ni le surlendemain ni aucun lendemain de l’année, je n’aurais consenti à mettre le public dans la confidence d’un procès qui ne lui importe en aucune manière.

Les personnes dont les noms sont supprimés dans ce procès sont Mme la comtesse de Boufflers et Mme la marquise de Verdelin. Cette dernière est celle qui alla voir M. Rousseau, l’année passée, à Motiers-Travers. Le grand prince est M. le prince de Conti. La personne distinguée qui fit visite à M. Rousseau à Londres, sans être connue, c’est le prince héréditaire de Brunswick. M. Tronchin a été autrefois, au dire de M. Rousseau, le plus grand médecin d’Europe ; j’en ai vu plus d’une fois la patente, écrite de la main propre de Jean-Jacques, et je ne sais si elle n’est pas consignée dans ses écrits ; mais depuis que M. Tronchin a osé être fâché de voir la paix de sa patrie troublée par les Lettres de la montagne, sentiment qu’on ne peut éprouver sans être l’ennemi le plus mortel de M. Rousseau, il a été justement dépouillé de sa qualité du plus grand médecin de l’Europe, et il est devenu jongleur, comme tout le monde sait : car tout talent, toute vertu, toute qualité dépend de la manière dont on est avec J.‑J. Rousseau.

À ne considérer sa grande lettre que du côté littéraire, ses

  1. Voir la Correspondance de J.-J. Rousseau, à cette date.