Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/169

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déré non plus qu’un sanglier, quelque sanglier qu’il soit, n’a pas beau jeu avec un Hercule, parce que l’Hercule met le sanglier en pièces. Ce Bouvart, si hargneux, si méchant, si redoutable, fait presque pitié en sortant des mains de M.  Petit. On voit qu’il n’a fait qu’amasser un tas d’inepties, et qu’il a compté que son ton rogue et décidé les ferait passer. Il est tombé en bonnes mains. Il y a, je crois, peu d’hommes en état de vous dépecer un raisonnement et d’en montrer le faible ou le faux d’une manière plus piquante que M.  Petit. Il a d’ailleurs une fermeté et une causticité qui, combinées avec cette odeur de probité et d’honnêteté dont j’ai parlé, donnent à son écrit un caractère tout à fait précieux.

M. Bouvart a très-mal fait de s’attaquer à son confrère M. Petit. Nous croyions jusqu’à présent que, s’il était un homme dur, injuste, envieux, sournois et méchant, il était du moins assez bon médecin, assez savant physicien et passable philosophe. Nous ne pouvons nous cacher, après la lecture de ce Recueil, que M.  Bouvart n’est rien moins que cela ; et il est actuellement prouvé qu’on peut être un très-méchant et très‑pauvre homme tout ensemble. Quoi qu’il en soit, nous lui avons toujours cette véritable obligation d’avoir assez ému la bile à M. Petit pour l’engager à prendre la plume et à développer une matière intéressante d’une manière neuve, profonde et philosophique.

— Puisque nous en sommes sur le chapitre de ceux qui aiment la vérité pour elle-même, il est bien juste de parler de M. de La Condamine. Il y a des gens dont l’étoile soutient un caractère de singularité jusqu’à la fin. Ce pauvre La Condamine, qu’on a appelé le syndic des insupportables, parce qu’il est sourd et curieux à l’excès, deux qualités qui ne s’entr’aident guère, et qui le rendent fatigant à tous ceux qui sont étrangers à la véritable commisération, se trouve attaqué d’une maladie extraordinaire. Elle consiste dans une insensibilité répandue sur toutes les extrémités de son corps, quoiqu’il se porte d’ailleurs parfaitement bien. Ainsi, il marche sans sentir ses pieds, il s’assied sans sentir ses fesses. On les lui frotte avec les brosses les plus dures, jusqu’à l’écorcher, et il sent à peine un léger chatouillement, Comme il est naturellement distrait, il lui arrive cent aventures avec cette nouvelle infirmité, Il se couche,