Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/170

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par exemple, avec ses pantoufles, croyant les avoir quittées. M. Tronchin, consulté par le malade, lui a fait sentir que son état était une suite nécessaire, et par conséquent irrémédiable, de la vieillesse d’un corps usé par les travaux et les fatigues de toute espèce, même du plaisir. Il lui a, en conséquence, ordonné beaucoup de ménagements et point de remèdes, et lui a d’ailleurs interdit toute espèce d’exercice violent, d’application, et surtout le devoir conjugal. Peu de personnes, en effet, ont essuyé et supporté des fatigues plus étonnantes que M.  de La Condamine. Après l’arrêt de défense prononcé par M.  Tronchin, le malade a chanté son infortune dans les vers suivants :

J’ai lu que Daphné devint arbre,
Et que, par un plus triste sort,
Niobé fut changée en marbre.
Sans être l’un ni l’autre encor,
Déjà mes fibres se roidissent ;
Je sens que mes pieds et mes mains
Insensiblement s’engourdissent,
En dépit de l’art des Tronchins.
D’un corps jadis sain et robuste,
Qui bravait saisons et climats,
Les vents brûlants et les frimas,
Il ne me reste que le buste.
Malgré mes nerfs demi-perclus,
Destin auquel je me résigne,
De la santé, que je n’ai plus,
Je conserve encore le signe.
Mais las ! je le conserve en vain :
On me défend d’en faire usage ;
Ma moitié, vertueuse et sage,
Au lieu de s’en plaindre, me plaint.
Sa mère, en platonicienne,
Dit : « Qu’est-ce que cela vous fait ?
N’avez-vous pas la tête saine ?
De quoi donc avez-vous regret ?
— Madame, à cette triste épreuve
Sitôt je ne m’attendais pas,
Ni que ma femme, entre mes bras,
De mon vivant deviendrait veuve.

— On a distribué secrètement un écrit de plus de deux cents pages in-12, bien serrées, intitulé Des Commissions extraordinaires en matière criminelle, avec cette belle épigraphe tirée