Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/17

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présence de l’Académie française, dont il est membre, a eu un grand succès le jour de son débit. Elle n’a pas aussi bien soutenu le jour de l’impression[1] ; cependant elle a encore trouvé des partisans : je leur pardonne. M.  l’abbé de Boismont est un habile joaillier qui travaille fort bien en faux. Il sait brillanter ses pierres et leur donner de l’éclat ; il est vrai que quand on les approche du feu, elles fondent comme du beurre. La plupart du temps, ses phrases ne sont belles qu’autant qu’on ne les entend pas ; dès qu’on veut y chercher du sens, on n’y trouve que du commun ou du faux, et plus souvent du galimatias.

M. Thomas, orateur profane, a cru devoir confondre sa voix avec celle de tant d’orateurs sacrés, et prononcer un Éloge du Dauphin qui pût satisfaire les philosophes, les citoyens, les gens de goût, auxquels il est difficile de digérer cette foule de passages de mauvais latin, et ces pauvretés déclamatoires dont les productions de nos prélats abondent. M.  Thomas a voulu nous crayonner, sous les traits du feu Dauphin, l’image d’un prince accompli, persuadé que quelques vérités utiles à ceux qui comme lui sont destinés à gouverner honorent plus sa mémoire que tous les vains éloges qu’on pourrait lui prodiguer. Voilà donc le projet de son discours ; mais en outrant le tableau, il l’a manqué, et il n’a contenté aucune classe de lecteurs. On aurait pardonné à M.  Thomas de faire du Dauphin un Trajan ou un Marc-Aurèle, pour avoir occasion de dire des vérités utiles aux princes ; mais le prince que peint M.  Thomas est un être chimérique qui n’exista jamais nulle part, et qui n’existera dans aucun siècle. Le tableau en est froid et sans intérêt, la monotonie d’un style toujours également élevé et emphatique le rend fatigant. Ceux qui n’aiment pas les sermons ont demandé de quel droit M.  Thomas donnait des leçons aux rois. Il faut convenir que si M.  Thomas a cru de bonne foi au prince dont il célèbre la mémoire le quart des qualités qu’il lui accorde, il ne descend pas à coup sûr de cet apôtre qui ne croyait qu’après avoir touché. Quant à moi, si les panégyriques sont un tribut qu’on doive indispensablement à la gloire des princes, je voudrais du moins qu’ils fussent prononcés de leur vivant et en leur présence, parce que chacun, se comparant

  1. 1766, in-4o.