Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/180

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discours en prose de trente-six pages[1], Cette édition est ornée d’estampes, et soignée comme tout ce que M.  Dorat fait imprimer. Ce jeune homme a certainement le talent des vers ; il a même une manière à lui qui est agréable et brillante ; mais il a deux grands défauts : premièrement, il fait trop de vers, et la sobriété n’est nulle part plus nécessaire qu’en poésie ; en second lieu, il manque d’idées. On lit tout un poëme comme celui-ci ; on entend un ramage assez agréable, mais qui ne signifie rien, et dont il ne reste rien. C’est que ces jeunes gens veulent se faire une réputation dans les lettres sans étudier, sans rien apprendre. Ils se font piliers des spectacles. De la Comédie ils vont souper en ville, se couchent tard, se lèvent plus tard encore, courent le matin les rues et les promenades publiques en chenille[2], et pensent qu’avec une vie aussi dissipée on peut parvenir au temple de Mémoire. Ce n’était sûrement pas là la vie de Virgile, d’Horace, de Catulle. Je crains que M. Dorat, avec son petit talent, ne fasse jamais rien qui vaille, et j’en suis fâché. Il devrait bien renoncer à écrire en prose ; ses discours préliminaires sont de dure et de fade digestion. Au reste, il faut être juste, et convenir qu’un poëme comme celui de la Déclamation théâtrale aurait fait de la réputation à un poëte, il y aquarante ans, et l’aurait peut-être mis de l’Académie française ; aujourd’hui, une telle production est à peine aperçue. Le public est donc devenu bien sévère ? Pas à l’excès ; mais c’est qu’il était trop facile, et même plat, il y a quarante ou cinquante ans. Le premier chant de ce poëme traite de la tragédie ; le second, de la comédie ; le troisième, de l’opéra. L’auteur a dans son portefeuille un quatrième chant, de la danse, et il aurait dû retarder cette nouvelle édition pour ajouter ce quatrième chant, et rendre ainsi son poëme complet. Ce supplément nous procurera encore une nouvelle édition de ce poëme dans quelque temps d’ici.

M. Dorat a une singulière manie ou une singulière gaucherie dans l’esprit. Il s’est avisé d’adresser des épîtres à tous les gens célèbres ou à la mode, sans les connaître, sans être lié avec eux ; et il a toujours trouvé le secret de les offenser

  1. Déclamation théâtrale, 1766, in-8o. Frontispice et trois figures d’Eisen, gravées par De Ghendt.
  2. Être en chenille signifiait alors être en costume non habillé. (T.)