Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— On a traduit de l’italien des Pensées sur le bonheur, petite brochure in-12 de soixante-quatre pages. Vous lirez ces Pensées avec quelque plaisir. Elles sont d’un esprit juste, qui ne manque pas de finesse ; et puisqu’il est dit qu’on ne pourra jamais écrire sur le bonheur que froidement, contentons-nous de ces Pensées. L’auteur est M.  le comte de Verri, Milanais, qui vient de quitter la carrière des lettres pour celle des affaires, M.  le comte de Firmian lui ayant procuré une place à Milan. La traduction des Pensées sur le bonheur nous vient de Suisse[1]. M.  le comte de Verri était un des principaux membres de cette coterie de Milan qui s’est réunie pour cultiver les lettres et la philosophie. Elle a publié pendant quelque temps une feuille périodique intitulée Le Café, où l’on trouve des choses précieuses de plus d’un genre. Nous avons eu la satisfaction de voir ici deux membres de cette société : l’un, le marquis Beccaria, auteur du livre Des Délits et des Peines ; l’autre, le frère cadet du comte de Verri. Ce dernier, qui n’a pas vingt-quatre ans, d’une figure très‑agréable, a de la grâce et de la finesse dans l’esprit. Il est auteur de plusieurs feuilles du Café. Le marquis Beccaria porte sur son visage ce caractère de bonté et de simplicité lombardes qu’on retrouve avec tant de plaisir dans son livre. Nous n’avons pu le garder qu’un mois, au bout duquel il a repris la route de Milan. On dit qu’il a épousé une jeune femme contre le gré de ses parents, et qu’il en est excessivement amoureux et jaloux. On ajoute que, malgré sa douceur, il est naturellement porté à l’inquiétude et à la jalousie ; et je le croirais volontiers. On prétendait qu’une brouillerie avec sa femme nous l’avait inopinément amené, et que le raccommodement survenu nous l’avait de même arraché au bout de quelques semaines. On dit aussi que sa douce moitié est fort jolie, et qu’elle n’est pas inexorable pour ceux qui soupirent autour d’elle. Pauvres philosophes, voilà ce que c’est que de nous ! Un regard de la beauté nous attire ou nous renvoie à cent lieues, nous fait passer et repasser les Alpes à sa fantaisie. Pour le jeune comte de Verri, il a laissé son ami reprendre la route de Milan, et est allé faire un tour à Londres avec le P. Frisi, Milanais, barnabite, géomètre habile, professeur de mathéma-

  1. Mingard était l’auteur de cette traduction.