Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/205

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jouée sur le théâtre de la Comédie-Française#1. Son succès répond moins au courage du héros qu’au mérite du poëte ; et comme celui-ci est infiniment médiocre, le nom du héros disparaîtra, après quelques représentations passagères, des fastes de la scène française. Si l’on ne peut admirer la force du génie dans M. Lemierre, il faut du moins rendre justice à sa fécondité ; car voilà, en moins de deux années, la troisième tragédie de sa manufacture : la tragédie de Barneveldt, qui attend toujours la permission de la police pour obtenir les honneurs du théâtre ; la tragédie d’Artaxerce, imitée du drame lyrique de Metastasio, qui eut quelques faibles représentations l’été dernier ; enfin celle de Guillaume Tell, qui en aura vraisemblablement sept. Dans cette dernière, l’auteur a scrupuleusement suivi la gazette ; il s’est attaché aux faits tels qu’on les conte, avec une exactitude tout à fait édifiante dans un poëte.

Guillaume Tell est, dans la pièce, le libérateur de la Suisse ; Cléofé est sa femme. Je ne sais pourquoi M.  Lemierre lui a donné un nom grec. Cela pourrait répandre des doutes sur son baptême. Elle s’appelait vraisemblablement Ursule ou Gertrude, et c’est fort mal à M.  Lemierre de lui avoir changé un nom chrétien contre un autre qui n’est pas dans le calendrier. Le fils de Tell n’a point de nom du tout dans la pièce, attendu qu’il ne parle pas. Melchthal, Werner et Furst, sont trois amis de Tell qui conspirent avec lui pour la liberté de leur patrie. Le baillif, que M.  Lemierre a décoré du titre de gouverneur, s’appelle Gessler dans la pièce. C’est apparemment ce Griesler dont l’histoire a conservé le nom. Il a pour confident un certain M.  Ulric, commandant de sa garde.

Je confesse que je n’ai point assisté avec une prévention trop favorable à la première représentation de cette pièce. On m’avait assuré qu’il n’y avait pas un mot désobligeant pour la maison d’Autriche, et j’ai trouvé cela bien poli de la part de Melchthal, de Werner et de Furst, persuadé d’ailleurs que si le poëte avait conservé à ses héros le langage simple et rustique qu’un homme de grand goût en aurait attendu, les Comédiens n’auraient pas voulu jouer sa pièce, et que s’il avait mis dans leur bouche le sentiment énergique et généreux de la liberté,[1]

  1. Elle fut représentée pour la première fois le 17 décembre 1766. (T.)