Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/21

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pour son repos. Les dispositions du public ne lui étaient plus favorables ; on ne cherchait que les occasions de l’humilier, et sa rentrée lui aurait préparé des chagrins.

M.  Rousseau a pris très au grave la lettre du roi de Prusse, fabriquée à Paris par M.  Walpole[1]. Il est naturellement porté à croire aux complots, aux noirceurs ; ainsi, selon lui, cette lettre couvre un grand mystère de la plus profonde iniquité. Tout ce mystère se réduit à égayer un peu le public aux dépens d’un auteur qui n’est pas gai. Si le monarque prenait les choses aussi vivement que l’auteur, si Frédéric était de l’humeur de Jean-Jacques, cette lettre pourrait devenir le sujet d’une guerre sanglante. Elle a été imprimée en français et en anglais dans les papiers publics de Londres, et M.  Rousseau vient d’écrire, à ce sujet, à l’auteur du London Chronicle, la lettre suivante[2] :


« À Wootton, le 3 mars 1766.

« Vous avez manqué, monsieur, au respect que tout particulier doit aux têtes couronnées, en attribuant publiquement au roi de Prusse une lettre pleine d’extravagance et de méchanceté, dont, par cela seul, vous deviez savoir qu’il ne pouvait être l’auteur. Vous avez même osé transcrire sa signature, comme si vous l’aviez vue écrite de sa main. Je vous apprends, monsieur, que cette lettre a été fabriquée à Paris, et, ce qui navre et déchire mon cœur, que l’imposteur a des complices en Angleterre. Vous devez au roi de Prusse, à la vérité et à moi, d’imprimer la lettre que je vous écris, et que je signe, en réparation d’une faute que vous vous reprocheriez sans doute si vous saviez de quelles noirceurs vous vous rendez l’instrument. Je vous fais, monsieur, mes sincères salutations. »

« Signé : J.‑J. Rousseau. »

M. Walpole vient de retourner en Angleterre, et il ne tient qu’à la chambre des communes, dont il est membre, de lui

  1. Voir tome VI, page 456.
  2. Elle se trouve dans les Œuvres de Rousseau, notamment dans l’édition in-8o donnée par M.  de Musset-Pathay, tome XXI, p. 52 ; mais elle y est adressée à l’auteur du Saint-James Chronicle, et datée du 7 avril 1766. (T.)