Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une personne des plus formées pour son âge. Je crois que jamais actrice n’a débuté avec autant d’aisance. Si elle avait joué la comédie depuis plusieurs années, il ne lui serait pas possible d’avoir plus d’habitude du théâtre, ni de montrer plus d’intelligence. Elle a eu le plus grand succès. Si elle avait débuté dans un rôle moins mauvais, elle aurait tourné la tête à tout Paris. Préville m’a assuré qu’à l’âge de sept ans cette fille jouait la comédie avec tout l’esprit et toute la finesse imaginables, et qu’elle aurait été la seule personne capable de remplacer Mlle Dangeville. En ce cas, je suis fâché que la Comédie‑Française n’ait pas fait cette acquisition, car le caractère de la voix de Mlle Beaumesnil n’est pas agréable ; et vu la nécessité et l’usage de crier à l’Opéra comme les possédés devant un crucifix, et le goût et la vocation que cette jeune actrice paraît avoir pour le plaisir, je ne lui donne pas dix-huit mois pour avoir perdu sa voix sans ressources. En général, comme sa figure est moins noble que jolie, elle aurait fait une actrice charmante à la Comédie-Française ou à l’Opéra-Comique, et perdra peut-être ses talents à l’Opéra français sans lui être de ressource.


15 janvier 1767.

En 1765, l’Impératrice de Russie acheta la bibliothèque de M. Diderot pour la somme de quinze mille livres, sans en avoir vu le catalogue, et fit mettre dans le marché la clause que le possesseur garderait cette bibliothèque jusqu’à ce qu’il plût à Sa Majesté Impériale de la faire demander. Sa Majesté y attacha en même temps une pension annuelle, pour récompenser le possesseur du soin et de la peine qu’il aurait de la garder ; et la première année de la pension fut payée d’avance, et ajoutée au capital de la bibliothèque. En 1766, cette pension n’ayant pas été payée, M. le général Betzky eut ordre de joindre à une de ses lettres le post-scriptum suivant :

« Sa Majesté Impériale, ayant été informée, par une lettre que j’ai reçue du prince Galitzin, que M. Diderot n’était pas payé de sa pension depuis le mois de mars dernier, m’a ordonné de lui dire qu’elle ne voulait point que les négligences d’un commis pussent causer quelque dérangement à sa biblio-