Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/221

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années auparavant, d’avoir traité le sujet d’Électre et celui de Catilina, mis sur le théâtre par le vieux Crébillon. Celui-ci avait aussi fait une tragédie du Triumvirat, qui était tombée : M. de Voltaire craignit d’exciter de nouveau des clameurs, d’avoir osé encore tenter un sujet traité par son rival, qu’on avait eu l’audace de nommer, pendant trente ans de suite, son maître dans l’art du théâtre. Étrange sottise du public ! Cette émulation entre deux poëtes, qui ne pouvait être trop encouragée, qui tournait tout entière au profit de l’art, fut traitée alors de crime, et M.  de Voltaire fut presque traité de voleur de grand chemin, qui envahit l’héritage de son voisin, et comme un monstre acharné à arracher tous les brins de laurier de la tête d’un vieillard. Ce n’est pas qu’on s’intéressât à Crébillon, qui n’avait rien de recommandable quant au personnel, et qui est déjà presque oublié ; mais l’envie d’abaisser son illustre rival, qui avait recueilli tous les lauriers de la littérature sur sa tête, se travestit en vengeresse de mauvais procédés, et cherchait à calomnier et à persécuter, en se couvrant du masque de la générosité. Ce n’est que depuis peu qu’on sait que M.  de Voltaire est l’auteur de cette tragédie du Triumvirat, tombée ainsi que celle de Crébillon. Il vient de la faire imprimer sous le titre d’Octave et le jeune Pompée, ou le Triumvirat[1]. Le sujet est historique, le caractère des personnages aussi ; mais la fable est presque toute d’invention. Tout le tissu et le style en sont faibles, et quand on a lu cette pièce, on n’est pas étonné qu’elle n’ait point fait d’effet au théâtre. Malgré cela, je suis persuadé que le nom de M.  de Voltaire lui aurait procuré un succès passager. Les temps sont changés. Cet acharnement, si ridicule et si honteux pour notre siècle, n’existe plus. Depuis environ dix ou douze ans, M.  de Voltaire jouit du privilège d’un grand homme mort ; l’envie et la calomnie n’osent plus siffler, ou du moins elles n’excitent plus que de l’horreur, et il ne faut pas nous faire honneur de cette justice tardive. Si M.  de Voltaire jouit de quelque faveur au milieu de la haine qu’on porte à tous les autres philosophes de France, c’est à son

    lorsqu’il parut, avec une sévérité qu’il n’eût certes pas montrée s’il eût su que Voltaire en était l’auteur. Voir tome VI, p. 32. (T.)

  1. Octave et le jeune Pompée, ou le Triumvirat, tragédie avec des remarques sur les proscriptions. Amsterdam et Paris, 1767, in-8o.