Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/224

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à celui qui, en son absence, en fait les fonctions : c’était cette fois-ci M.  d’Alembert. Ces trois tribunes sont ordinairement réservées aux dames ; mais quoiqu’elles fussent bien remplies, il y en avait un grand nombre de répandues dans le parquet, parmi les hommes les plus distingués de tous les ordres et de tous les états. M.  Thomas est fort aimé, et ce concours le prouve bien. On battit des mains dès qu’il parut, et son discours fut interrompu à chaque endroit remarquable par des applaudissements très-vifs.

Si des critiques sévères y ont trouvé quelques longueurs et de l’uniformité dans le ton, ils ne nient point que ce discours ne soit rempli de pensées fortes, de sentiments élevés, d’images brillantes ; et s’ils osent accuser l’auteur d’orgueil, ils ne peuvent disconvenir qu’il ne place cet orgueil de la manière la plus noble et la plus digne d’un honnête homme.

M. Thomas a voulu peindre dans son discours l’homme de lettres citoyen. Peut-être l’élève-t-il un peu trop, car il partage le soin de l’univers précisément entre l’homme d’État qui gouverne, et l’homme de lettres qui l’éclaire. Mais malheur à celui qui ne sait ennoblir sa profession, qui n’en sait agrandir la sphère ! il y sera toujours médiocre. D’ailleurs, il n’y a qu’à s’entendre. Si le tableau que M.  Thomas trace de l’homme de lettres ne peut convenir à tous les Quarante que l’immortalité rassemble au Louvre ; si l’abbé Batteux et l’abbé Trublet, et tant d’autres, n’ont pas le droit de s’y reconnaître, qui oserait contester à l’homme de génie son influence sur l’esprit public, et les révolutions qui en résultent : influence moins prompte, mais plus sûre et plus glorieuse que celle de la puissance, et dont les souverains mêmes ne peuvent se vanter qu’autant qu’ils savent allier le pouvoir au talent et à la capacité ! Ainsi l’un de ces Quarante, l’homme immortel qui a choisi sa retraite au pied des Alpes, lorsque, par l’effet aussi infaillible qu’imperceptible de ses écrits, le fanatisme sera tombé désarmé, la superstition devenue méprisable et ridicule ; lorsque la lumière et la raison, répandues dans toute l’Europe, auront rendu les générations suivantes et plus éclairées, et plus douces, et meilleures ; cet homme immortel, dis-je, sera élevé par la postérité sur un piédestal, comme le plus grand bienfaiteur du genre humain ; son nom sera grand et glorieux, tandis que