Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/228

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tude. Il est plaisant de voir M.  Thomas lui faire un mérite de n’avoir eu ni force, ni finesse, ni profondeur, ni parure ; M. Thomas serait bien fâché de mériter un seul mot de cet éloge. En général, il serait à désirer qu’on pût élaguer des discours de réception cet énorme fatras de louanges.

M. le comte de Clermont, prince du sang, devait, en sa qualité de directeur, répondre au discours de M.  Thomas ; mais ce prince ne va point à l’Académie. Il a consenti d’être un des Quarante, il y a dix ou douze ans, on ne sait pourquoi. Il se rendit alors à l’Académie, et y resta cinq minutes, mais sans prononcer de discours de réception ; il n’y est pas retourné depuis[1]. Le sort l’ayant fait directeur de quartier, M.  le prince Louis de Rohan Guémenée, coadjuteur de Strasbourg, se trouvant chancelier de l’Académie, répondit au discours de M. Thomas. Cette réponse est courte, noble et simple. La dernière partie surtout m’a paru fort bien. Il y a, au commencement, un éloge des lettres un peu commun, et que j’aurais voulu retrancher.

Après cette cérémonie, M.  Thomas a lu la plus grande partie du quatrième chant de son poëme épique, Pierre le Grand, empereur de Russie. Le sujet de ce chant est le voyage du czar en France. Le poëte, pour pouvoir mettre Pierre en conversation avec Louis XIV, a avancé son voyage en France de douze à quinze années. On s’est beaucoup récrié sur cet anachronisme, et j’avoue que je me moquerais bien des crieurs s’il en résultait de grandes beautés. Il est bien question d’exactitude chronologique dans un ouvrage qui est fait pour l’éternité ! et vous verrez que le quatrième chant de l’Énéide m’enchante, m’attendrit, me touche moins, parce que je sais qu’Énée et Didon n’ont pas même vécu dans le même siècle ! Mais j’avoue aussi que je ne sais pourquoi M.  Thomas a préféré de mettre Louis XIV aux prises avec Pierre le Grand ; le personnage de Philippe d’Orléans, régent du royaume, m’aurait paru plus piquant et plus propre à ce rôle. Ce Louis XIV, malheureux et vieux, est triste à mourir. Il endoctrine le czar un peu pédantesquement. Si leur entrevue s’était réellement ainsi passée, je pense que Pierre, en se retrouvant le soir seul

  1. Voir tome II, p. 312.