Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/231

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M.  Tercier, ancien premier commis des affaires étrangères, vient de mourir subitement à l’âge de soixante et quelques années. Il était de l’Académie royale des inscriptions et belles‑lettres. Il avait été aussi censeur royal ; mais il perdit cette place et celle qu’il avait aux affaires étrangères, pour avoir donné son approbation au livre De l’Esprit. C’était un bon homme qui ne voyait point de mal en tout cela. On fit, dans ce temps, une chanson qui disait que pour lui l’esprit était affaire étrangère[1]. Sa disgrâce n’influa point sur sa fortune. On lui conserva ses pensions, et l’on prétend que le département des affaires étrangères lui donnait souvent de quoi s’occuper dans sa retraite.

— Nous avons aussi perdu un médecin appelé M.  Renard ; c’était l’Esculape du Marais. Une de ses dévotes disait un jour que c’était le premier médecin de Paris. Un mauvais plaisant ajouta : « En entrant par la porte Saint-Antoine, » parce que M. Renard logeait tout auprès. Ce M.  Renard, trouvant un jour auprès d’une de ses malades un vieil abbé qui jouait tranquillement au piquet, il l’envisage, et lui dit : « Que faites‑vous là, monsieur l’abbé ? Allez-vous-en chez vous, faites-vous saigner ; vous n’avez pas un instant à perdre. » L’abbé, effrayé au dernier point, reste immobile. On le transporte chez lui ; M.  Renard le saigne trois ou quatre fois de suite, lui fait prendre de l’émétique, et le trouve toujours aussi mal qu’auparavant. Le troisième jour, on appelle le frère du malade, qui était à la campagne. Il arrive en hâte : on lui dit que son frère se meurt ; il veut savoir de quelle maladie ; M.  Renard lui dit que son frère, sans s’en apercevoir, avait eu une forte attaque d’apoplexie, mais qu’il l’avait heureusement découvert en lui voyant la bouche tout de travers, et qu’il l’avait secouru en conséquence. « Eh, monsieur, lui dit cet homme, il y a plus de soixante ans que mon frère a la bouche de travers. — Eh ! que ne le disiez‑vous ! » répondit le docteur en s’en allant, sans attendre l’effet de l’émétique qu’il venait d’administrer.

M.  de Mondonville s’est avisé de remettre en musique l’opéra de Thésée, psalmodié, il y a cent ans, par l’ennuyeux Lulli. Il a voulu faire avec le poëme de Quinault ce que les maîtres de

  1. Voir cette chanson, et des détails relatifs à la destitution de Tercier, t. IV, p. 30.