Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/237

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de cette union clandestine, lorsque son père revient, et que son époux est obligé de reprendre la route de Londres.

Voilà le sujet que M.  Caron de Beaumarchais a entrepris de traiter sur la scène française. Eugénie, drame en cinq actes et en prose, a été joué pour la première fois le 29 janvier, sur le théâtre de la Comédie-Française. Cette pièce avait été fort annoncée ; son succès a bien peu répondu à l’attente de ses partisans, et sa chute est d’autant plus fâcheuse pour l’auteur qu’il n’en peut rejeter la faute sur son sujet. Ce sujet est infiniment théâtral et susceptible du plus grand intérêt. Vous allez voir comment M.  de Beaumarchais a réussi à le gâter entièrement, et à l’éteindre sans ressource.

Au reste, cet ouvrage est le coup d’essai de M.  de Beaumarchais au théâtre et dans la littérature. Ce M.  de Beaumarchais est, à ce qu’on dit, un homme de près de quarante ans, riche, propriétaire d’une petite charge à la cour, qui a fait jusqu’à présent le petit-maître, et à qui il a pris fantaisie mal à propos de faire l’auteur. Je n’ai pas l’honneur de le connaître ; maison m’a assuré qu’il était d’une suffisance et d’une fatuité insignes. J’ai quelquefois vu la confiance et une certaine vanité naïve et enfantine s’allier avec le talent, mais jamais je n’ai vu un fat en avoir ; et si M.  de Beaumarchais est fat, il ne sera pas le premier qui fasse exception[1].

Le sujet de sa pièce est le roman des Amours du comte de Belflor et de Léonor de Cespedés, que vous avez lu dans le Diable boiteux de Le Sage.

Quoique ce sujet soit à mon gré très-beau et très-théâtral, il n’est point sans inconvénients. Son plus grand défaut, celui qui est sans ressources, est d’avoir été traité par M.  de Beaumarchais ; mais un homme de beaucoup de talent aurait encore bien des écueils à éviter. Il sentirait d’abord que le rôle d’Eugénie est fini du moment où elle a la certitude du faux mariage et de son déshonneur. Dès ce moment, sa situation est si violente qu’elle ne peut plus être montrée au spectateur que dans la convulsion et dans le délire du désespoir ; elle doit avoir l’esprit et la raison aliénés. Si vous me dites que son rôle, bien loin de finir là, y commence au contraire à devenir sublime, je serai

  1. L’auteur du Petit Prophète n’a pas deviné juste. (T.)