Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/238

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bientôt de votre avis ; mais je vous supplierai de m’indiquer le poëte capable de traiter et d’écrire ce rôle.

Une autre difficulté du sujet est de préserver milord Clarendon de tout vernis d’avilissement : car un homme qui a la bassesse d’abuser d’une jeune personne charmante, vertueuse, d’une naissance moins illustre, mais, après tout, égale à la sienne, est un vil séducteur, mieux placé sur les galères que sur le théâtre. L’amour peut faire faire un grand crime, mais un crime n’est pas toujours une bassesse ; et lorsque le crime est assez vil pour dégrader celui qui le commet, l’intérêt théâtral est fini. Or, comme il faut que le comte de Clarendon reste assez intéressant pour qu’Eugénie puisse à la fin lui rendre son estime avec le don de sa main, il est de toute nécessité qu’il n’ait pas paru vil un instant aux yeux du spectateur. M.  de Beaumarchais ne s’est pas seulement douté de cette petite difficulté ; il a cru que quelques remords vagues, inspirés à milord Clarendon par son valet, le prépareraient suffisamment au repentir nécessaire à la catastrophe, et rendraient à nos yeux une action infâme pardonnable. Je ne sais pourquoi M.  de Beaumarchais nous croit si peu délicats. Il y a au quatrième acte une scène que j’ai sautée dans l’analyse, mais qui me revient ici, et qui est pour moi une démonstration que cet homme ne fera jamais rien, même de médiocre. C’est au moment où milord Clarendon arrive, mandé par la tante d’Eugénie. Cette jeune infortunée et sa tante le reçoivent dans le salon, et avant de lui permettre d’entrer dans l’appartement d’Eugénie, elles l’interrogent sur toutes ses noirceurs, dont la tante a la preuve en poche. Clarendon nie tout comme le dernier des hommes, avec une effronterie révoltante ; et lorsqu’on lui montre la lettre de son intendant, qui porte la conviction de son crime, il reste confondu comme un vil scélérat ; et c’est ici que finit la scène, et l’auteur envoie prudemment milord Clarendon se justifier dans l’appartement voisin. Si M.  de Beaumarchais avait eu le moindre talent, une étincelle de bon sens, il aurait évité cette scène comme l’écueil le plus dangereux de son sujet, et il aurait mis tout son savoir-faire à nous montrer Clarendon justifié autant à nos propres yeux que dans le cœur de son amante.

Mais comment réussir à rendre ce faux mariage excusable ? Ce problème peut avoir ses difficultés, mais je ne le crois pas