Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/241

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sa sœur cadette, les rôles de soubrette. Une sœur aînée avait été aussi au théâtre, mais peu de temps. Ces deux sœurs ont depuis joué une espèce de rôle à Paris : l’une et l’autre ont cherché à se donner une existence en attirant chez elles la bonne compagnie. L’aînée, entretenue jadis par feu M.  le duc d’Orléans avant sa dévotion, et depuis par le vieux duc de Nevers, père de M.  le duc de Nivernois, passe aujourd’hui pour être mariée en secret avec ce vieux seigneur. Celle-là a toujours vécu dans le grand monde. La soubrette a voulu avoir pour elle et les gens du monde et les gens de lettres, et l’on a fait ce qu’on a pu pour lui faire une réputation d’esprit. Elle m’a toujours paru avoir plus de prétention que de fonds, et surtout point de naturel. Elle a eu pendant quelque temps un dîner qu’on appelait le diner du bout du banc, et où il se faisait des assauts d’esprit. Rien n’était plus fatigant et plus maussade que ces bureaux d’esprit ; mais heureusement cela a passé de mode, et le règne de la soubrette a moins duré que celui de sa sœur aînée. Ces sortes de phénomènes ne peuvent guère se voir qu’à Paris ; c’est un genre d’ambition particulier. Mais si l’on pouvait savoir avec exactitude toutes les peines que les deux sœurs de Quinault-Dufresne se sont données pour acquérir et conserver cette sorte d’existence qu’elles se sont procurée, on verrait peut-être avec étonnement qu’il a fallu moins de soins et d’efforts à Cromwell pour être maître de l’Angleterre qu’il n’en a coûté à Mlles  Quinault pour attirer et fixer chez elles quelques hommes célèbres et quelques gens de bon air.

Dufresne avait essuyé quelque dégoût de la part du public, et c’est ce qui occasionna sa retraite. Il commença un jour son rôle très-bas, parce que la situation et le bon sens l’exigeaient. Le parterre lui cria à diverses reprises : Plus haut, plus haut ! et Dufresne, impatienté, répondit enfin : Et vous, messieurs, plus bas ! Il fut mis en prison, et lorsqu’il reparut sur le théâtre, le parterre l’obligea de demander pardon à genoux. Dufresne se soumit, et quitta le théâtre six mois après. En quoi il fit très‑bien ; car ceux qui traitent leurs gens à talents en esclaves ne sont pas dignes d’en avoir, et l’avilissement ne sera jamais un moyen de faire fleurir les beaux-arts. Nous avons perdu, de nos jours, Mlle  Clairon par une aventure de cette espèce. Mais Dufresne vécut heureux dans la retraite, au lieu que Mlle  Clairon