Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/240

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On a fait cinquante mauvaises plaisanteries sur l’auteur d’Eugénie, parce qu’il est fils d’un horloger. C’est bien de quoi il s’agit ! On a fait mille contes de sa fatuité et de ses impertinents propos. Je voudrais qu’il eût montré le moindre talent, et je lui pardonnerais volontiers son ton suffisant, d’autant que je n’aurai jamais à en souffrir. Ce n’est pas M.  de Beaumarchais, c’est son bas coquin de Clarendon, c’est son vieux radoteur de Hartley et sa folle de sœur, et cette petite Eugénie, obstinée à ne me pas déchirer le cœur, qui me font souffrir le martyre.

Il n’y a, dans toute la pièce, qu’un seul mot qui m’ait plu ; c’est au cinquième acte, lorsqu’Eugénie, revenue d’un long évanouissement, rouvre les yeux et trouve Clarendon à ses pieds ; elle se rejette en arrière, et s’écrie : J’ai cru le voir ! Ce mot est si bien fait, il détonne si fort du reste, que je parie qu’il n’est pas de l’auteur. J’ai dit que cette pièce est tirée du Diable boiteux. Elle ressemble aussi au roman de Miss Jenny, par Mme Riccoboni. C’est que l’un et l’autre ont mis à profit le roman de Le Sage.

— Quinault-Dufresne, ancien acteur de la Comédie-Française, vient de mourir à l’âge de soixante-quinze ans. Cet acteur a eu beaucoup de réputation dans son temps, et c’est le comédien le plus célèbre que nous ayons eu en France depuis Baron. Si l’on peut former un jugement d’après tout ce qu’on a entendu dire de diverses parts, il me semble que Dufresne avait encore plus d’avantages extérieurs que de talent. La plus belle figure, la voix la plus agréable, un air plein de grâce et de noblesse, enfin tout ce que la nature doit fournir pour former un comédien parfait, Dufresne le possédait dans un degré éminent. Peut-être Le Kain a-t-il plus d’entrailles, plus de pathétique, plus de mouvements et d’accents tragiques, mais malheureusement la nature lui a tout refusé, et chez un peuple véritablement enthousiaste des beaux-arts, il ne serait pas possible d’exercer ce métier sans ces qualités extérieures. Je n’ai point vu Dufresne, et c’est un regret que j’ai. Il était depuis plusieurs années dans un état de santé misérable. Il avait quitté le théâtre de bonne heure, et il y a plus de vingt-cinq ans qu’il s’en était retiré. Les Quinault tenaient alors le haut bout du Théâtre-Français. Dufresne jouait les premiers rôles tragiques et comiques. Son frère aîné, Quinault, jouait le haut comique ;