Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/262

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d’élévation, deux qualités sans lesquelles je ne puis imaginer une bonne morale, j’avoue que je crois les lieux communs, et ce que j’appelle le bavardage vertueux, non-seulement inutiles, mais contraires au progrès de la morale soit publique, soit particulière : inutiles, parce que les lieux communs ne parlent jamais à l’âme, et que c’est elle qu’il s’agit de remuer et de toucher ; contraires, parce qu’ils accoutument la jeunesse à se payer de mots, à se contenter de phrases et de tournures, et à les substituer aux choses. Lisez le chapitre de Bélisaire contre les favoris, et demandez à ce bon aveugle quel bien il croit avoir fait en expliquant ce que c’est que la faveur. Il dit que la faveur accorde au vice aimable ce qui appartient à la vertu ; il ajoute qu’un prince éclairé, juste et sage, n’a point de favoris, qu’il a des amis. Mais le prince le plus livré aux favoris sera d’accord sur ces principes. Il trouvera les flatteurs et les favoris une espèce d’hommes exécrables ; mais heureusement, dira-t-il, je n’ai que des amis. De quoi s’agit-il donc, puisqu’il n’y a point de prince à qui l’on n’ait prêché le danger des flatteurs, et qui n’en soit convaincu ? Il s’agit de lui apprendre à distinguer les flatteurs des amis, et cette science ne s’acquiert pas des lieux communs, et on lirait vingt fois le chapitre de Bélisaire sans en être plus avancé. C’est que les véritables éléments de morale pour les princes, c’est l’histoire qui les renferme ; et pour nous en tenir à l’exemple pris au hasard dans les conversations de Bélisaire, c’est en lisant la vie et les malheurs dun prince livré aux favoris, en comparant les mœurs et la conduite de ces favoris avec la conduite de ceux qu’il appelle ses amis, qu’un prince sans expérience et enclin à cette faiblesse pourra peut-être réussir à se garantir des atteintes d’un poison qui ne se présente que sous l’aspect le plus séduisant.

On a appelé l’ouvrage de M. Marmontel le Petit Carême du P. Bélisaire, à imitation du Petit Carême du P. Massillon, parce que les entretiens de Bélisaire ressemblent en effet beaucoup à des sermons, et que le bonhomme vous endort son lecteur comme un moine qui prêche. Si vous me demandez quel est le but moral de cet ouvrage, je vous dirai qu’il est fait exprès pour prouver qu’un empereur qui doit à l’un de ses sujets une longue suite de victoires et tout le lustre de son règne, n’a rien de mieux à faire, pour lui témoigner sa reconnaissance,