Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/274

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beaucoup l’influence qu’elles devraient avoir naturellement sur notre manière de penser et de sentir, et l’on en jugerait bien mieux par l’esprit de notre théâtre, par le goût de nos romans, par le ton de nos sociétés, par nos petits contes et par nos bons mots, que par nos lois, notre culte et les principes de notre gouvernement.

J’imagine qu’on ferait un ouvrage fort curieux en rassemblant sous certains titres les expressions proverbiales, les bons mots les plus caractéristiques de chaque nation. Est-il possible de ne pas reconnaître l’orgueil espagnol dans l’Almenos du Page, dont son maître avait la bonté de dire qu’il était aussi noble que le roi ? Qui ne voit l’indifférence et la morgue philosophique d’un Anglais, dans la repartie du fameux Wilkes à un poëte français qui, voulant réciter un poëme contre la fierté de ces insulaires, ne put jamais se rappeler que ce premier vers :

Ô barbares Anglais, dont les sanglants couteaux…


« Eh monsieur, rien n’est plus aisé à finir :

Coupent la tête aux rois et la queue aux chevaux ! »


Le mot de Mme  de Tallard, qui ne voulait pas qu’on portât des jupons bordés de tresses d’or ou d’argent, parce que cela ne servait, disait-elle, qu’à écorcher le menton ; ce mot si fou ne peint-il pas toute la pétulance française ? Je ne cite que les premiers traits qui s’offrent à ma mémoire ; il en est mille autres qui ont plus de saillie, plus d’originalité, et surtout plus de vérité locale.

Nous avons cherché dans notre littérature à imiter tantôt les Espagnols, tantôt les Italiens, tantôt les Anglais, ils nous ont imités à leur tour : cependant ne les reconnaît-on pas tous, jusque dans leurs imitations, à des nuances très-marquées ? L’Espagnol n’a-t-il pas essentiellement l’esprit ingénieux que doivent produire la chaleur du climat et l’austère contrainte des mœurs publiques ? l’Italien, celui qui tient à des sens délicats et à une imagination brillante et voluptueuse ? l’Anglais, celui de la mélancolie et d’une méditation profonde ? Et ce qui distingue particulièrement nos écrivains français, n’est-ce pas cet esprit facile et léger que donnent l’usage et le goût de la société ?