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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

sentation. Elle est aujourd’hui à sa quatrième et dernière, à cause de la clôture des spectacles, qui se fera samedi prochain, et l’on dit qu’elle ne sera reprise qu’a l’entrée de l’hiver.

Le grand reproche qu’on a fait à la tragédie des Scythes, c’est d’être froide et sans intérêt. Cependant ce ne sont ni les événements ni les situations tragiques qui y manquent, c’est la force tragique qu’on désire partout. La faiblesse du plan, des incidents, de l’exécution, se manifeste à chaque pas. On a dit que M. de Voltaire ne pouvait être accusé de plagiat, parce qu’il n’avait pillé que son propre fonds. Il est vrai que cette tragédie ressemble beaucoup à celle d’Alzire et à celle d’Olympie ; elle a aussi un peu d’affinité avec le sujet de Callirhoé. Mais quelle différence entre ce dernier sujet et celui des Scythes ! Dans la tragédie de Callirhoé le sort de cette infortunée et de son malheureux amant dépend de l’arrêt irrévocable d’un oracle, et l’on sait si les dieux sont implacables. Dans la tragédie des Scythes, au contraire, tout n’arrive que par la volonté précaire du poëte, et s’il voulait se prêter un peu, il n’y aurait aucun mal. Il faut pour qu’il arrive un meurtre qu’un jeune monarque persan défie un jeune Scythe en duel, comme ferait un petit-maître ou un marquis français. Assurément, le véritable Indatire, qui d’abord n’aurait pas porté ce nom, se serait bien moqué du roi Athamare s’il avait été assez insensé pour lui faire au milieu de la Scythie une proposition aussi extravagante. Cet Athamare, fourvoyé avec une poignée des siens au milieu d’un peuple fier et guerrier, et traitant ses hôtes avec tant de hauteur et d’arrogance, me rappelle ce caporal des troupes du pape qui s’était rendu à bord d’un vaisseau de guerre anglais, accompagné de deux invalides, pour y faire la recherche d’un déserteur. Il avait si bien pris le ton de maître, si parfaitement oublié qu’il n’était plus chez lui, que pour l’en faire souvenir quelques matelots de l’équipage furent obliges de le jeter à la mer avec ses deux invalides, après quoi on le repêcha dans une barque, pour le mettre à terre dans un coin de son commandement. Il résulte de tout ceci que les malheurs qui arrivent a Athamare ne touchent en aucune manière, parce qu’ils n’arrivent pas nécessairement, et que la tragédie finit avant qu’on ait pu prendre interêt a quoi que ce soit.

La manière dont elle a été jouée a beaucoup contribué au