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AVRIL 1767.

mauvais succès du premier jour. Il semblait que tous les acteurs se fussent donné le mot pour jouer détestablement. Le rôle d’Athamare, joué par Le Kain, ne fit aucun effet. Il y a un certain M. Pin, reçu à l’essai, qui joue la comédie pour son plaisir, à ce qu’on dit, car il est riche, mais qui ne joue pas pour notre plaisir, s’il joue pour le sien. Ce M. Pin joue les rôles à manteau dans la comédie, et les rôles de confident dans la tragédie. Les comédiens prétendent que c’est le meilleur confident qui ait paru au théâtre depuis longtemps, et je ne serais pas eloigné d’être de leur avis s’il n’avait pas une figure si ridicule dans l’accoutrement tragique, et une voix si claire et si glapissante qu’on est tenté de rire dès qu’il ouvre la bouche. Ce malheureux Pin s’était fait confident d’Athamare, et fut la première cause des risées du parterre. Elles commencèrent avec le troisième acte, ou le fidèle Pin donne de si bons conseils à son maître peu docile. Pin le confident en perdit la contenance, et ne sut plus un mot de son rôle, et le mauvais succès de cette scène influa sensiblement sur le sort de la pièce.

Molé était chargé du rôle d’Indatire, et le joua en petit-maître. Son père Hermodan Brizard, malgré sa belle chevelure grise, malgré sa belle figure, sa belle voix, fut trouvé bien froid. Pour le père d’Obéide, le vieux Sozame, c’etait M. Dauberval. Ce pauvre M. Dauberval joue tous ses rôles avec tant de politesse que, sans avoir l’honneur de le connaître, je suis persuadé que c’est un des hommes les plus doux et les plus respectueux qu’on puisse rencontrer dans le monde. C’est dommage que cette vertu ne tienne pas lieu de talent au théâtre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que Sozame Dauberval a l’air bien déplace en Scythie, et que, s’il y allait de ma vie, il me serait impossible de croire qu’il ait jamais servi sous le grand Cyrus, ni gagné de batailles dans son jeune temps, malgré tous les récits et toutes les confidences qu’il fait à son ami Hermodan de ses exploits et de sa gloire passés. Ce Dauberval a un fils qui danse à l’Opéra, et qui est un charmant danseur dans le genre brillant et léger de Lany et de Mlle Allard. Si, suivant la morale de la Chine, l’éclat des vertus d’un fils rejaillit sur le père, nous sommes en conscience obligés d’aller applaudir le père Dauberval à la Comédie-Française des cabrioles enchanteresses de son illustre fils sur le théâtre de l’Opéra.