Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
AVRIL 1767.

royale de musique est jalouse de ses moindres droits, et dans les temps difficiles, les moindres pertes se font regretter. Il s’entama donc une négociation aussi importante que délicate entre Messieurs les premiers gentilshommes de la Chambre du roi, qui dirigent la Comédie-Française, et M. le comte de Saint-Florentin, qui, en sa qualité de ministre de Paris, à l’Opéra dans son département. Après le nom du Très-Haut dûment invoqué, et avoir généralement reconnu l’importance de l’ennuyeux spectacle national appelé Opéra français et décidé essentiellement nécessaire au soutien de la gloire nationale, on convint que Mlle Durancy passerait du théâtre de l’Opéra sur celui de la Comédie-Française sans tirer à conséquence. En conformité de ce traité, Mlle Durancy débuta au mois de novembre dernier dans les rôles de Pulchérie, d’Aménaïde et d’Électre, et fut reçue à demi-part immédiatement après son début. Ce début ne répondit cependant pas à l’attente de ses protecteurs, ni a l’idée qu’on s’en était faite d’avance sur leur parole. Le public ne fut point dans l’enthousiasme des talents de Mlle Durancy ; et les amateurs de l’Opéra français, choqués au dernier point de sa désertion, et profitant de la disposition du public, la débutante transfuge pensa être sifflée dans les formes. Ce n’est qu’à la quatrième ou cinquième fois, et au moment de son plus grand découragement, qu’elle triompha enfin de la cabale.

Le fait est que la figure de Mlle Durancy est très-ignoble, qu’elle a l’air d’une grosse servante de cabaret ; qu’elle ne manque ni d’intelligence ni même de chaleur, mais qu’elle a un jeu dur comme sa physionomie, sans grâce, sans sentiment, sans âme. Cela ne fera donc jamais qu’une actrice médiocre qui jouera passablement bien les rôles qui lui auront été notés par Mlle Clairon ou par M. de Thibouville, mais qui n’entraînera jamais le spectateur par la force et le pathétique de ses propres accents. Le crédit de ses protecteurs a tout mis en œuvre pour la faire valoir aux dépens d’une rivale qui s’était présentée sur son chemin. Mlle Sainval, actrice du théâtre de Lyon, aussi laide que Mlle Durancy, mais d’une figure moins ignoble et moins disgracieuse, avait débute avant elle avec beaucoup de succès. On lui avait trouvé des entrailles et du pathétique, elle pouvait devenir une rivale redoutable. La nécessité d’accoucher l’avait forcé d’interrompre son début. Après le début de