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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Mlle Durancy, on contraignit Mlle Sainval, a peine relevée de couches et encore faible et languissante, de reprendre le sien. Elle reparut, mais sans voix et sans force, et ce second début lui fit beaucoup de tort. Elle a été reçue cependant à la pension et à l’essai ; mais le temps de son essai se passera à ne jamais jouer, parce que Mlle Dubois et Mlle Durancy, jouissant de leur droit d’ancienneté, ne lui laisseront vraisemblablement jamais de rôle à remplir.

Les protecteurs de Mlle Durancy, devant lesquels il n’est pas permis de prononcer le nom de Mlle Sainval, ont procuré à leur favorite l’avantage de jouer le rôle d’Obéide préférablement à Mlle Dubois. Dans les pièces nouvelles, l’auteur est libre de donner les rôles à qui bon lui semble, mais l’acteur reste en possession du rôle qu’il a une fois joué. C’est sans doute M. d’Argental qui a engage M. de Voltaire à faire ce petit passe-droit à Mlle Dubois, et à donner son rôle à Mlle Durancy. Elle a bien rendu ce rôle tel qu’il lui a été noté par Le Kain ; un serin sifflé ne retient pas mieux son air ; mais je crois que Mlle Dubois, avec ses attraits et sa belle voix, aurait, malgré la médiocrité de ses talents, fait plus d’effet et mieux contribué au succès des Scythes. Obéide-Durancy eut un air et un accoutrement si ridicules que je craignis que sa seule apparition ne fit faire des éclats de rire. Huchée sur des talons d’une demi-aune de hauteur, elle avait retroussé sa robe blanche garnie de peau de tigre jusqu’aux genoux. On voyait donc toute sa jambe, habillée de bas de couleur de chair entrelacés de rubans d’or et d’argent en forme de brodequins. Cet accoutrement, joint à sa figure et à une démarche rapide et gênée par l’énormité des talons, lui donnait l’air de quelque bipède sauvage errant dans les forêts de la Scythie, et cherchant a se dérober à la poursuite du chasseur.

Ainsi, quoique la faiblesse de la tragédie des Scythes eut suffi pour rendre son succès peu brillant, je crois pourtant que ce succès eut été fort différent si cette pièce avait été mieux jouée, et avec la perfection qu’on croirait devoir attendre du premier théâtre de la nation, si tout ne tombait un peu en décadence.

— Puisque nous sommes sur le chapitre de la Comédie-Française, il faut ici dire un mot de ce qui s’est passe au sujet de Molé, premier de son nom dans l’histoire du théâtre, et qui