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MAI 1767.

cuisinier si, pour avoir du bon bouillon, il ne faut pas que votre pot soit écumé à diverses reprises. Empêchez l’écume de sortir du pot, de se séparer de la substance de votre bouillon, et vous verrez ce qui en arrivera. Toute société politique à son écume, à laquelle un habile législateur ménage la possibilité de se séparer du reste, sans quoi le pot public va mal. Si l’on s’aperçoit enfin d’un adoucissement sensible dans les mœurs de l’Europe, ce n’est peut-être qu’à force d’avoir écumé notre pot que nous l’éprouvons. Les croisades et l’Amérique ont ouvert depuis huit cents ans deux grands écouloirs au profit des sociétés politiques de l’Europe, dont l’un est encore subsistant. Gardons-nous de fermer cet écouloir sans en ouvrir un autre, si la police et la tranquillité intérieures nous sont chères.

Les deux professions à peu près les plus opposées sont celle du moine et celle du guerrier. À ne s’en rapporter qu’au raisonnement le plus simple et le plus évident, la première de ces professions doit être l’école de toutes les vertus ; la seconde, l’école du vice et du crime. Car quoi de plus beau et de plus vertueux que d’avoir fait un état de l’humilité, de la charité, de la pauvreté, c’est-à-dire de la tempérance et de la modération ; d’avoir appris à mépriser par principe les richesses et la vie ? D’un autre côté, quel horrible métier que celui qui consiste à tuer ses semblables, à porter le ravage et la désolation dans tous les pays, dans toutes les familles, à combiner la force et la ruse, pour combattre, ruiner, massacrer, exterminer ? Il est clair que le moine ne peut manquer d’être le modèle de toutes les vertus, et que le guerrier est par état un monstre altéré de sang, qui ne peut se plaire que dans l’horreur du crime. Cependant (et ceci soit dit pour montrer en passant combien le raisonnement est un guide sûr pour conduire à la vérité) l’expérience nous prouve précisément le contraire. Généralement parlant, le moine est dur, impitoyable, c’est un cœur étranger a la compassion, c’est du moins un animal passif, sans nulle énergie, sans nulle vertu ; le guerrier en revanche est communément noble, désintéressé, compatissant, généreux, magnanime. Tant de vertus, résultat d’un si horrible métier : tant de vices engendrés dans la profession paisible des vertus du cloître ! Cette différence mérite quelque réflexion. La necessité de courir des hasards, l’habitude d’exposer sa vie seraient--