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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

propos de dépenser son argent pour le bien de la paix deux ou trois observations qui ne lui coûteront rien. Il n’y a personne qui ne soit pénétré des biens inestimables de la paix et des maux de toute espèce que la guerre entraîne après elle. Rassemblez tout ce que l’Europe contient d’hommes éloquents, et ils ne vous diront rien sur ce sujet que vous n’ayez pensé vous même, que vous n’ayez mieux senti. Mais à quoi serviront tous leurs discours si la guerre est un mal inévitable ? Or, réfléchissez sur la nature de l’homme, et voyez si, pour prévenir efficacement les guerres, vous n’êtes pas réduit à l’altérer dans son essence, c’est-à-dire à désirer une chose impossible ; voyez si, en ôtant à l’homme ce qui lui fait entreprendre une guerre offensive et défensive, vous ne le privez pas aussi de ses plus belles vertus, de ses plus grandes qualités. Quand vous l’aurez réduit à l’état d’automate, le règne de la paix perpétuelle commencera infaillible.

Vous êtes bien hardi si vous osez décider, en votre qualité de bon diable, que cette paix perpétuelle n’est pas contraire à l’ordre physique de la nature, et si vous ne mettez pas au moins en doute que dans cet ordre le genre humain puisse subsister sans se faire la guerre de temps en temps.

Vous êtes tout aussi hardi d’affirmer que votre paix perpétuelle n’est pas contraire à l’ordre des sociétés politiques, et de croire que leur police puisse subsister avec vos vues pacifiques. N’y a-t-il pas dans toute société policée une classe d’hommes dont le tempérament actif et ardent ne s’accommode pas du cours ordinaire, c’est-à-dire lent et uniforme des choses, et qu’aucune loi, aucun frein n’est assez fort pour assujettir à l’ordre civil ? Ôtez à cette classe d’hommes la ressource de la guerre, le métier des hasards, et vous en ferez autant de perturbateurs du repos intérieur de la société. Il faut donc à toute société politique un écouloir pour la séparation des humeurs, et pour que le plus grand nombre de citoyens puisse vivre paisible ; il faut que le petit nombre de caractères indomptables qui se trouvent parmi eux, puisse avoir la ressource de courir les dangers et d’y périr, ou bien de réussir, à force de travaux, de fatigues et de malheurs, à dompter cette effervescence de tête et d’âme incompatible avec la police de la société. Voulez-vous vous rendre cette vérité sensible par une noble comparaison ? Demandez à votre