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MAI 1767.

en cent douze pages la plus noble et la plus touchante apologie des droits de l’humanité contre la barbarie de quelques-unes de nos lois civiles.

M. Servan est un jeune magistral qui, je crois, n’est pas encore parvenu à sa trentième année[1], et qui joint au goût de la philosophie et des lettres l’amour le plus vif de l’humanité et ce zèle qu’inspirent pour elle la chaleur et la confiance du premier âge, lorsque la méchanceté et l’injustice des hommes ne vous ont pas encore appris à regarder la cause de l’humanité comme impossible à soutenir et à défendre. Malheureusement M. Servan est d’une complexion si faible, d’une santé si mauvaise, qu’il ne peut guère se flatter d’atteindre au terme ordinaire de la vie humaine. Ce qu’il annonce doit faire regarder sa perte prématurée, si elle arrive, comme une perte sensible pour l’État, pour tous les citoyens, pour tous ceux qui ont à cœur le progrès de la raison et le bien public. On peut malheureusement compter en ce royaume les magistrats qui lui ressemblent. Il n’y a point de corps en Europe qui se vante avec plus de confiance de sa droiture et de ses lumières que nos corps de magistrature ; et si les réquisitoires et les autres écrits publics de la magistrature française ressemblaient aux écrits de M. de La Chalotais et de M. Servan, toute la nation aurait raison de s’empresser à confirmer ces éloges.

Notre jeune avocat général a déjà signalé son zèle à la rentrée du parlement de Grenoble de l’année dernière par un discours sur la justice criminelle ; mais dans ce discours il a moins parlé d’après lui que d’après les idées du marquis de Beccaria, et M. Servan ne peut que perdre, en copiant même de beaux modèles. Ici il n’a parlé que d’après son cœur et ses lumières ; et son discours vous paraîtra aussi instructif que noble et touchant. Voici en deux mots la cause sur laquelle il avait à donner ses conclusions :

Jacques Roux, protestant, âgé de trente ans, épouse une jeune fille de vingt ans, de sa religion, du consentement de ses parents. Leur contrat de mariage est dressé par un notaire, et signé en la forme ordinaire par les parties contractantes et par les parents et témoins ; le mariage est ensuite béni par un mi-

  1. Il était né à Romans le 3 novembre 1737.