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MAI 1767.

mis l’hiver dernier sur la scène. Fanny est aussi une fille abusée dont le séducteur répare à la fin ses torts par un mariage réel. Il faut bien que ces productions insipides trouvent des lecteurs pour qu’on les réimprime. La jeunesse, naturellement inflammable, est peu difficile sur les sujets et les tableaux de tendresse et d’amour. En lisant M. d’Arnaud, elle lui prête son feu ; et ce pauvre homme en a besoin, car c’est l’auteur le plus glacial que nous ayons ; c’est aussi un auteur perfide, car il cache sa glace sous une fausse apparence de chaleur, et sa platitude sous un style plein d’emphase et de grands mots. Je dirai cependant aux jeunes gens : Lisez cela s’il faut absolument que vous perdiez votre temps ; mais le mal est que ces productions sont infiniment propres à corrompre le goût et le style. Une infortunée créature en proie à un orage de sentiments opposés, des yeux chargés d’un nuage de pleurs, des pieds qu’on arrose de deux ruisseaux de larmes : tout est écrit dans ce bon genre-là. Bonsoir, monsieur d’Arnaud, vous m’ennuyez. Je ne peux faire grâce qu’à une seule ligne de votre roman ; c’est celle où vous dites que le goût de la dissipation, ordinaire à la première jeunesse, est une ivresse aussi dangereuse peut être pour la véritable volupté que pour la raison.

— Si vous n’avez pas assez de cette darnauderie anglaise, en voici une autre française qui vous donnera votre reste. Elle est intitulée Julie, ou l’Heureux Repentir. Ma foi, j’en avais assez de Fanny, qui m’a entre autres prouvé la parfaite ressemblance de M. d’Arnaud avec M. de Beaumarchais, en ce qu’ils ont tous les deux la manie de placer leur scène en Angleterre sans avoir la connaissance la plus légère des mœurs anglaises. Quant à Julie la Française, c’est une petite égrillarde que je soupçonne de s’être permis bien des fredaines ; mais enfin elle s’en repent, en demande pardon à Dieu, à son père, à la justice, se fait religieuse et meurt sur la cendre. C’est à peu près l’histoire de la fameuse courtisane Deschamps, morte en odeur de sainteté il y a trois ou quatre ans, après voir vécu en odeur d’impureté. Comme M. d’Arnaud saît ennoblir ses sujets ! Je lui ferai expédier un brevet d’historiographe des filles de l’Opéra. Ces demoiselles ont ordinairement besoin d’une plume embellissante. Le beau triomphe pour la vertu que l’heureux repentir de Julie Deschamps !