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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

M. Mercier, qui le dispute à M. d’Arnaud en fecondité, vient de nous faire présent des Amours de Chérale, poëme en six chants. Lisez : prose en six chapitres. Suivi du Bon Génie, qui heureusement n’a pas plus de vingt pages. M. Mercier tient boutique d’insipidités des mieux assorties.

M. Dorat, en sa qualiée de faiseur d’héroïdes, avait ébauché un petit roman qu’il vient d’achever. Valcour, Français, devient amoureux en Amérique de la belle Zeila, fille sauvage. Il la détermine à le suivre en Europe, et il s’embarque avec elle et ses trésors. Naturellement léger et volage, il l’abandonne pendant le trajet, dans une île déserte, au moment ou elle porte un gage de sa tendresse dans son sein. Zéila est enlevée de cette île par un corsaire qui la vend au Grand Seigneur. Voilà le sujet de la première héroïde ; c’est Zéila qui écrit à son amant. Valcour, à la réception de cette lettre, se repent et répond ; c’est la seconde héroïde, mais à quoi sert un repentir stérile ? Valcour s’embarque, court au sérail, y arrive au moment ou le Grand Seigneur jette le mouchoir à Zéila. Zéila se prosterne aux pieds de Sa Hautesse et lui avoue son amour. Sa Hautesse le musulman prend le parti de la genérosité, et unit Valcour a Zéila, qui lui fait présent d’un enfant déjà grandelet qu’il lui avait laissé dans l’île déserte. C’est la troisième héroïde qui vient de paraître, et dans laquelle Valcour rend compte à son vieux papa de tous ces évènements agréables[1]. Vous jugerez par cette esquisse que ce petit roman est un chef-d’œuvre de vraisemblance, et si vous avez le courage de lire les trois héroïdes, vous verrez que l’exécution répond parfaitement a l’invention heureuse de cette petite fable. Monsieur Dorat, je suis bien aise de vous dire que moi, à la place de Sa Hautesse, j’aurais fait empaler votre Valcour pour ses petites fredaines, et je vous aurais obligé d’assister à l’exécution, pendant laquelle j’aurais fait lire votre apologie des héroïdes, qui est à la tête de cette dernière, pour désennuyer et distraire la tendre Zéila, veuve de l’empalé.



  1. Lettre de Valcour à son père. Figure, vignette et cul-de-lampe d’Eisen gravé par Simonet.