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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

incroyables d’un homme froid et sans ressource ; on regrette de ne pas voir tant d’opiniâtreté et de courage de travail réuni avec quelque talent, afin d’en recueillir quelque fruit.

— Depuis l’ouverture des théâtres, après la quinzaine de Pâques, il s’est présenté deux nouveaux acteurs pour débuter sur le théâtre de la Comédie-Française. L’un, qui ne s’est pas fait annoncer, a joué les rôles à manteau, et même ceux de tyran dans la tragédie ; on l’a trouvé passable. L’autre a débuté dans les rôles d’amoureux et dans les grands rôles tragiques. Celui-ci n’a pu se faire illusion sur son succès, car s’étant chargé du rôle de Rhadamiste, ces jours passés, le parterre l’a si mal reçu qu’il a été obligé de quitter la partie au commencement du second acte. Le parterre se mit a demander Le Kain avec beaucoup de bruit pour achever le rôle. On courut après cet acteur, qui n’était ni a la Comédie, ni préparé, ni habillé ; il y avait plus de six mois qu’il n’avait joué ce rôle ; l’entr’acte dura environ cinq quarts d’heure ; Le Kain parut et reçut les plus grands applaudissements, et la pièce fut achevée ; on sortit seulement un peu tard du spectacle.

— On a vu aussi deux nouveaux acteurs italiens sur le théâtre de la Comédie-Italienne, dont la troupe se partage entre les acteurs de ce spectacle et les acteurs de l’Opéra-Comique. Des deux débutants, l’un joue les rôles d’amoureux, l’autre celui d’Arlequin. Ce dernier est un élève de Sacchi, le plus célèbre arlequin d’Italie, dont il a pris le nom. L’amoureux est d’une jolie figure, mais un peu commune ; du reste bien fait, et accoutumé au théâtre. Quant à l’Arlequin, c’est beaucoup d’avoir été souffert. Ce rôle est en France une chose arbitraire et de fantaisie ; le public aime beaucoup Carlin, et le nouvel Arlequin avait encore le tort de ne savoir parler français. Il mourait de peur la première fois. La nécessite de remplacer Carlin, qui était malade et qui se fait vieux, l’a fait supporter ; sa peur et sa bonne volonté l’on fait applaudir. Il joue déjà en français, et la manière dont il l’estropie contribue à le rendre plaisant. Je ne sais s’il est original et s’il a de l’esprit ; mais je pense que le public s’y fera, et qu’il réussira beaucoup dans quelque temps.

— Le 15 du mois dernier, on a représenté chez Mme la duchesse de Villeroy la tragédie de Bajazet, dans laquelle Mlle Clairon a