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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

ce sont, dit-il, les motifs qu’une réticence religieuse et respectable a fait renfermer dans le cœur royal du monarque. C’est-à-dire que ce qui le frappe le plus est ce qu’il sait le moins. Il faut convenir que ni le Cicéron de Rome, ni celui de Rennes, ne savaient faire des morceaux de cette éloquence.

M. d’Alembert a profité de la circonstance pour faire imprimer à Genève une Lettre de M. ***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à son ouvrage sur la Destruction des jésuites. Brochure in-12 de cent trente-quatre pages qu’on ne trouvera pas à Paris et qui ne plaira pas à Versailles. Ce supplément ne regarde pas l’expulsion des jésuites d’Espagne, car il est daté du 1er décembre 1765, avec un post-scriptum du 30 mars 1766. M. d’Alembert répond à différentes critiques que les jansénistes surtout ont faites de son livre, et dans lesquelles il est appelé Rabsacès, Philistin, Amorrhéen, enfant de Satan, etc. J’aime mieux ce supplément que l’ouvrage même, qui m’a paru dans le temps mesquin et faible, avec beaucoup de prétention à l’épigramme. Dans le supplément je trouve quelques endroits mieux traités et mieux écrits. Avec tout cela il ne faut pas se souvenir du chapitre du jansénisme dans le Siècle de Louis XIV, quand on veut trouver l’ouvrage et le supplément de M. d’Alembert supportables. Les formules parasites qui reviennent à tout moment, telles que pour en revenir aux jésuites, quoi qu’il en soit, ne croyez pas au reste, avouons cependant, etc., prouvent un style décousu, faible et sans consistance.

M. de La Condamine a cherché comment on pourrait un peu consoler les jésuites, parce qu’enfin ils ont besoin de consolation dans les circonstances présentes. Il a trouvé un moyen, mais malheureusement ce moyen ne sera bon que dans quatre cents ans : c’est que personne ne croit aujourd’hui les horreurs et les abominations qu’on imputait aux templiers ; ainsi, dans quatre cents ans, dit-il, personne ne croira les crimes que l’on impute aujourd’hui aux jésuites, et ils auront la satisfaction de passer simplement pour une société ambitieuse et puissante qui, s’étant fait des ennemis de tous côtés, a enfin succombé parce qu’en fait d’ambition il faut ou conquérir le monde ou en être écrasé. Je ne doute pas que la perspective d’être blancs comme neige dans quatre cents ans ne console infiniment les jésuites, et ne fasse supporter au R. P. Ricci, général, toutes les épreuves