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JUIN 1767.

— La catastrophe que les jésuites viennent d’éprouver en Espagne a réveillé l’attention du public sur cette célèbre Société. Lorsque les premières nouvelles arrivèrent, je me trouvais avec des gens peu touchés de ces calamités, car M. le baron de Gleichen, envoyé extraordinaire de Danemark, dit avec son air doux et sournois : Il faut convenir que l’art de chasser les jésuites se perfectionne de plus en plus. M. le comte de Creutz, ministre plénipotentiaire de Suède, prétendit que du train dont les choses allaient, le pape serait très-heureux dans quelque temps d’ici d’être le grand aumônier du roi de Sardaigne ; et l’abbe de Galiani, secrétaire d’ambassade de Naples, s’écria :

Gens inimica mihi Tyrrhenum navigat æequor !

Mais cela ne prouve rien contre la Société. On sait que l’abbé de Galiani n’aime pas les jésuites, parce qu’ils ont empêché son oncle d’être cardinal ; et les royaumes de Suède et de Danemark ont le malheur depuis deux siècles de n’être plus unis au rocher de Saint-Pierre établi au Vatican pour le derrière de notre très-saint père Clément Rezzonico. Nous autres gallicans, nous avons lu avec d’autant plus d’édification la savante homélie de M. l’abbé de Chauvelin, conseiller de grand’chambre au Parlement de Paris, imprimée sous le titre de Discours d’un de Messieurs, qu’elle nous a paru un des meilleurs amphigouris et des plus inintelligibles qu’on ait vus depuis longtemps. Cet amphigouri a fait une telle impression sur l’esprit de maître Omer Joly de Fleury, avocat général audit Parlement, qu’il n’a pu se dispenser de faire un réquisitoire contre les ci-devant soi-disant jésuites, dont l’effet a été de les juger une seconde fois et de les faire chasser du royaume. Ce réquisitoire n’est pas écrit d’un style aussi prophétique que le Discours d’un de Messieurs, mais il est remarquable par son extrême platitude, qu’on croyait même perdue depuis que l’illustre Chaumeix s’était retiré en Russie. Grâces au ciel, nous avons plus d’un Chaumeix en France, et celui que M. l’avocat général a choisi pour lui rédiger ses réquisitoires vaut bien l’autre. Vous ne devineriez par exemple jamais ce qui a le plus frappé ce magistrat dans l’aventure des jésuites en Espagne :