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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

il fera mettre son père en prison. Heureusement le navire sur lequel ce père a fait fond entre dans le port en ce moment, et un capitaine de navire vient annoncer aux personnes intéressées cette heureuse nouvelle. Vous croyez, je parie, que vous n’avez plus qu’à assister au mariage de Toinon et de Toinette, et que, moyennant votre présent de noces fait à la porte de la Comédie, tout est dit. Vous vous trompez. Ce M. Desboulmiers est un diable d’homme qui ne lâche pas son monde à si bon marché. Quoiqu’il ne soit pas sorcier, il dispose des éléments, et, dans l’intervalle du premier au second acte, il élève une tempête épouvantable, à l’honneur sans doute et en mémoire du bon effet de l’orage dans le Roi et le Fermier, de M. Sedaine. En conséquence, M. Gossec, secondé par la charrette du cintre qu’un moucheur de comédie tient toujours prête aux ordres de tout Jupiter tonnant, M. Gossec, dis-je, fait pleuvoir, grêler, tonner, éclairer dans cet entr’acte, à faire peur. Si je pouvais faire quelque cas de ces platitudes musicales, je dirais que l’orage de M. Gossec est beaucoup plus beau que celui de M. Monsigny dans le Roi et le Fermier ; mais, dans le fait, je donnerais mille de ces puérilités avec tout leur fracas contre le plus simple sentiment heureusement exprimé. Enfin le calme succède à l’orage, et le musicien, après nous avoir déchiré les oreilles par ses éclairs, met toutes les flûtes de l’orchestre en campagne pour apaiser les vents et la tempête. Malheureusement pour Toinette, il s’y prend trop tard. Le navire qui portait les fonds de son père a péri par la tempête ; cela s’appelle faire naufrage au port dans toute la rigueur du terme. Aussi l’usurier, usant de son droit, a déjà fait emprisonner le père de Toinette, et vient de nouveau offrir à celle-ci sa main et la liberté de son père, si elle veut se déterminer à l’épouser. Toinette, perplexe et consternée, est sur le point de sacrifier à la piété filiale les plus chers intérêts de son cœur, en acceptant les offres du vieux hibou, lorsque son père paraît en liberté. Une main inconnue lui a fait tenir l’argent nécessaire pour le délivrer des poursuites de son créancier. Celui-ci est fort sot, et Toinette se flatte de toucher enfin au comble de ses vœux, lorsque son amant Toinon paraît pour prendre tristement congé d’elle. Le généreux Toinon, ayant su que le père de sa maîtresse était en prison, s’est engagé sur mer et a envoyée secrètement