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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Mainville ne devienne pas aussi bon acteur que bon chanteur et qu’il ne manque d’intelligence ; mais j’ai vu des sujets plus désespérés devenir très-passables et même bons, et c’est toujours un très-grand point que de n’avoir aucune disgrâce extérieure à vaincre. Nous avons vu Mme Laruette, ci-devant Mlle Villette, jouer ses rôles sans aucune sorte d’intelligence pendant plusieurs années ; elle s’est formée cependant, et il existe actuellement des pièces qui doivent leur succès en partie à son talent d’actrice. L’étude et l’exercice sont deux grands maîtres, et j’ai dans la tête que M. Mainville s’en trouvera bien dans quelque temps d’ici.

— Le théâatre anglais compte parmi ses pièces une tragédie intitulée le Joueur, tragédie bourgeoise qui n’a pas beaucoup réussi à Londres, et dont nous ignorons l’auteur en France. Son but était de nous montrer la passion du jeu avec tous ses dangers. En conséquence, un homme, dont le sort était en tout point digne d’envie, devient par la fureur de cette passion le plus malheureux de tous les hommes. Il ne se contente pas de la perte de toute sa fortune ; il perd encore la fortune d’une femme charmante dont il est adoré, et le bien d’une sœur aimable sur lequel il n’a pas le moindre droit. Manquant ainsi à tous les sentiments de justice et de probité, il ouvre trop tard les yeux sur l’abîme ou il s’est précipité ; le désespoir s’empare de son âme ; il s’empoisonne et meurt au moment où sa tendre épouse lui apprend qu’une partie de ses pertes est réparée par des fonds qui lui arrivent des Indes. On a publié il y a quelques années une traduction assez informe de cette pièce. M. Diderot l’avait traduite quelque temps auparavant pour la faire connaître à des femmes qui n’entendaient point l’anglais. Sa traduction n’a pas été imprimée. Elle est demeurée à M. Saurin de l’Académie française, qui a entrepris de mettre ce sujet sur le Théâtre-Français avec plusieurs changements. Il a surtout affaibli le rôle des filous dont le joueur est la dupe dans la pièce anglaise, et qui y occupent un trop grand espace. Pour remplacer ce vide, il a imaginé de donner au joueur un enfant. Le sort de cet enfant ajoute encore à la détresse du père ; et lorsqu’au cinquième acte il s’est empoisonné, tandis que son fils dormait tranquillement à côté de lui, il lui prend une autre tentation aussi violente que funeste : c’est celle de tuer son