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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

mier, deux sœurs deviennent amoureuses d’un comte d’Estival qui est, après M. d’Arnaud, l’homme le plus accompli de la France. Il en résulte un combat de générosité qui fait que le comte épouse l’aînée, c’est-à-dire celle des deux sœurs qu’il n’aime pas, à la place de la cadette, qu’il aime, et qui se retire dans un couvent ignoré de tout le monde afin de ne pas faire tort a sa sœur. Après le mariage, cette sœur découvre que sa sœur seule était aimée, et cette découverte la fait mourir de douleur. Le comte, libre de ce lien, compte se consoler, du chagrin que la mort de sa femme lui a causé, dans les bras de la sœur, qu’il a toujours adorée ; mais celle-ci, considérant que c’est elle qui est cause de la mort de sa sœur, ne veut pas épouser le comte, malgré la passion qu’elle se sent toujours pour lui, et prend impitoyablement le voile dans le couvent où elle s’est retirée. Le comte, perdant aussi toutes ses espérances, meurt, et en mourant, il envoie son cœur dans une boîte à sa maîtresse religieuse. À la réception de ce funeste présent, cette tendre recluse, qui employait toujours ses heures perdues à travailler au portrait de son amant, se trouve mal, et meurt peu de jours après. Tout le monde ainsi mort, il ne reste que M. d’Arnaud, dont le génie est mort-né. Dans le roman anglais, la vertueuse Clary, fille d’un fermier de campagne, se laisse enlever par un lord qui lui promet de l’épouser. En attendant l’accomplissement de cette promesse, elle remplit de bon cœur tous les devoirs d’une épouse, et vit à Londres avec son amant dans l’étalage de la fille la mieux entretenue. Un jour, étant avec son lord à la comédie, elle voit dans la pièce qu’on représente un père qui, trouvant sa fille dans une situation à peu près pareille, lui dit : Ma fille, je vous vois des richesses ; où sont vos vertus ? Apparemment que ce rôle de père était joué par David Garrick avec une force et une vérité étonnantes, car Clary ne put jamais s’empêcher de s’écrier du fond de la loge : Ah, mon père ! et puis de s’évanouir. Je vous laisse à penser quel esclandre ce cri devait faire dans la salle de Londres ; mais du moins il prouve que, même au milieu d’un spectacle profane, on n’est pas à l’abri du doigt de Dieu. Clary s’en sent touchée. Elle se dérobe clandestinement de la maison de son séducteur, et après avoir échappé au danger d’être violée par un gros chapelain, et à divers autres accidents, elle