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JUILLET 1767.

reprend le chemin de la vertu et de la maison paternelle. Ses parents lui pardonnent. Un chevalier baronnet très-vertueux en devient amoureux. Clary ne consent à l’épouser qu’après les simagrées les plus touchantes du monde, et après lui avoir conté toutes ses petites fredaines ; et M. d’Arnaud, qui est un garçon délicat sur le point d’honneur d’une fille, ne fait le mariage qu’après avoir tué le premier séducteur de Clary d’un coup de fusil à l’armée d’Allemagne : ainsi dans le fait, le chevalier baronnet épouse une jeune veuve, un peu illégitime à la vérité, mais d’ailleurs charmante et d’une vertu a toute épreuve.

Si vous voulez avoir un modèle de faux pathétique et de fausse chaleur, vous lirez ces deux romans. Je suis sur qu’en certains quartiers de Paris et en certains endroits de province, tout cela paraît fort beau. Ce pauvre d’Arnaud n’a pas l’ombre du sentiment, il est froid comme la mort ; mais il s’échauffe tant à force de grands mots que je suis persuadé que, de la meilleure foi du monde, il se trouve brûlant. C’est l’auteur de France qui entend le mieux l’éloquence des points et des tirets ; en cinquante pages, l’imprimerie la mieux fournie doit se trouver épuisée. Mon cœur est déchiré… La mort y entre de toutes parts… Mon amour s’allume dans mes larmes… Tout est plein de ces expressions naturelles, et chacune est suivie d’un tiret ou de trois points. Remarquez en passant que les autres éteignent leur amour dans les larmes ; mais M. d’Arnaud l’y allume, parce que tout est brûlant chez lui. Il n’y a rien de mieux pour corrompre le goût et le style que ces sortes de productions. Heureusement tout cela meurt en venant au monde.

Pour vous faire oublier les sœurs généreuses, je vais vous faire un conte de la duchesse généreuse, et ce conte n’en sera pas un. Mme la duchesse de Choiseul vient de passer deux mois dans sa terre de Chanteloup en Touraine. C’est, sous les plus aimables traits, la Bienfaisance qui quitte les rives de la Seine pour un temps, et va habiter les rives de la Loire. Elle y passe peu de jours sans les signaler par quelques bienfaits. Un soir, elle se promène à cheval dans la forêt d’Amboise, suivie du docteur Gatti, son médecin, et de l’abbé Barthélémy, antiquaire célèbre. Elle rencontre une femme qui lui paraît plongée dans la douleur. Elle s’arrête et interroge. La femme est