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JUILLET 1767.

M. Mercier, à l’enseigne de l’Homme sauvage, vient de nous faire présent d’une petite histoire morale en cent pages in-12, intitulée la Sympathie. Si M. Mercier continue son commerce de merceries en vers et en prose avec l’activité qu’il y a mise depuis six mois, je plains ceux qui sont obligés de s’assortir dans sa boutique.

— Après M. d’Arnaud, ce que nous avons de plus triste en France c’est un certain M. Feutry, poëte et étudiant en artillerie. Celui-là ne rêve que lamentations, ruines, tombeaux ; une demi-douzaine de gaillards de cette espèce donnerait le spleen à tout un royaume si on les écoutait. M. Feutry vient de publier les Ruines, poëme d’un triste achevé. Il nous dit dans sa préface qu’il va en Russie, pour dire, en passant à Pétersbourg, que M. le comte de Schouvaloff est un Russe aimable et pour faire des recherches sur l’histoire générale des machines de guerre anciennes et modernes, qu’il se propose de donner dans quelque temps avec des planches. Il prétend aussi avoir trouvé une espèce de canon qui tire cinq coups contre deux, sans trop s’échauffer et sans risquer de crever. Au moyen de sa découverte, un vaisseau monté de vingt-cinq pièces, mettra en pièces un vaisseau de soixante et au delà. M. Feutry est trop bon Français pour ne nous pas garder son secret jusqu’à la première guerre maritime. Je vois les Anglais perdus de cette aventure ; et si M. Feutry peut les engager à lire ses productions poétiques, tout ce qui échappera à son artillerie périra de mélancolie ; et voilà l’empire de ce peuple orgueilleux détruit par le génie puissant d’un seul homme.

— On assure que M. Rousseau se trouve dans un château appartenant à M. le prince de Conti, en Vexin, sur la frontière de Normandie[1]. Il a changé de nom et a promis de se tenir tranquille le reste de ses jours. À cette condition le Parlement a, dit-on, consenti de laisser dormir le décret de prise de corps. S’il ne doit plus rien imprimer, ce marché est également mauvais et pour lui et pour le public.



  1. À Trye-Château. Voir dans la Correspondance générale de Rousseau la lettre du 3 mars 1768 à du Peyron sur les prétendues persécutions qu’il y subissait. C’est à Trye qu’il écrivit la première partie des Confessions.