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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

AOUT.

1er août 1767.

Après les plaies d’Égypte, je ne connais guère de plus grande calamité que celle qui s’est répandue sur la France et qui a opéré une disette universelle de nourriture spirituelle. Il n’y a jusqu’à présent qu’un seul exemplaire de la Défense de mon oncle à Paris, entre les mains de M. d’Argental. On parle d’un roman théologique intitule l’Ingénu, et également ouvragé à Ferney ; mais personne ne le connaît encore à Paris. Autrefois cette grande ville, semblable à un magasin général, tenait assortiment de tout, et chaque fidèle pouvait se pourvoir suivant ses besoins et ses moyens ; aujourd’hui, il faut avoir des facteurs et des commissionnaires aux environs du chef-lieu de la manufacture ; il faut tromper toute la cohorte de commis, d’inspecteurs, d’exempts et de sbires, quand on veut avoir ces denrées précieuses : c’est ce que je souhaite à tout fidèle qui ne craint pas de dépenser de l’argent pour son salut.

Je ne passerai pas la Défense de mon oncle en revue chapitre par chapitre ; je ne m’arrêterai qu’à ceux où j’aurai quelques petites observations à lui faire. Il est parlé de tout dans cette Défense, et feu M. l’abbé Bazin est un personnage trop important pour qu’on ne cherche pas à le rappeler à l’exacte vérité quand il lui arrive de s’en écarter. Je suis de l’avis de M. le neveu quand il réfute l’opinion absurde que la religion musulmane est une religion sensuelle et voluptueuse. Du temps que nous étions dindons, et c’était, s’il m’en souvient, la semaine passée, les prêtres étaient bien aises de nous faire accroire qu’il n’y avait que notre religion de sainte et que toutes les autres étaient des écoles de vices et de dérèglements ; mais on est un peu revenu de cette sottise. On sait aujourd’hui que toute institution religieuse, quelque singulière qu’elle ait été dans ses moyens, à toujours eu pour objet d’apaiser la colère des dieux, et a toujours mêlé des préceptes de justice et de vertu à un recueil de dogmes merveilleux et absurdes. On ne peut nier que le caractère de la religion musulmane ne soit en géné-