Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/42

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musique, toutes les critiques se sont portées sur le poëte, et les défauts du musicien, bien autrement nombreux et barbares, ont à peine choqué. Il faut cependant convenir qu’on n’a presque point fait de reproche au poëte qui ne soit fondé. La platitude et la barbarie du style ne sont point compensées ici par ces traits vrais, naïfs et heureux qui caractérisent les pièces de M. Sedaine. Il a assez bien et assez naturellement disposé le sujet ; mais, à cela près, il n’en a pas tiré le moindre parti.

Monsieur Sedaine, consolez-vous cependant : car pour avoir fait un mauvais opéra, je ne vous estime pas un brin moins qu’auparavant, et vous auriez peut-être perdu dans mon esprit, si vous y aviez réussi. Souvenez-vous que M.  de Voltaire, qui a excellé dans tous les genres, n’a jamais pu réussir dans celui-ci. Ses chutes sur ce théâtre lui ont toujours donné un titre de plus à mon admiration ; son esprit juste et vrai n’a jamais su se plier au faux goût de ce genre, qu’une antique superstition lui a fait regarder comme admirable. Ce genre sera toujours fastidieux et insupportable aux gens de goût ; et si Dieu fait jamais la grâce aux Français de leur ouvrir les oreilles, et de leur faire comprendre ce que c’est que la musique, on ne croira jamais qu’une nation si polie et si cultivée d’ailleurs ait pu supporter cent ans de suite ce qu’elle appelle un opéra. Le vrai reproche que M.  Sedaine a à se faire, c’est de n’avoir pas tenté de hâter cette révolution.

M.  de Bury a fait, l’année dernière, une Histoire de Henri IV en plusieurs volumes. Personne, Dieu merci, n’a lu cette histoire ; et il ne faut pas être maladroit pour écrire, au milieu de la capitale, la vie du roi le plus cher à la nation sans que la nation le sache. Ce M.  de Bury est un polisson qui peut se placer hardiment à côté de M.  le marquis de Luchet, si justement décrié pour ses talents historiques. Il a plu à M.  de Bury d’attaquer, dans sa préface, l’histoire de l’illustre président de Thou, de la façon du monde la plus téméraire ; et M. de Voltaire a cru devoir justifier la mémoire de cet homme célèbre, dans une feuille de trente-huit pages qui vient de paraître[1]. M.  de Voltaire a tort. Il démontre qu’un homme qui

  1. Le Président de Thou justifié contre les accusations de M.  de Bury, auteur d’une vie de Henri IV (1766), in-8o.