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n’ont jamais pensé. Si l’auteur de cet article, M.  Diderot, est obligé de répondre de tout ce qu’il a mis proditoirement dans la bouche des autres, je ne me soucie pas d’être à côté de lui le jour de la grande trompette.




MAI.

1er mai 1766.

Le conte de la Reine de Golconde est le chef-d’œuvre de M. le chevalier de Boufflers. Il le composa, il y a cinq ans, au séminaire de Saint-Sulpice, où il s’était enfermé pour se faire apprenti évêque, et d’où il sortit au bout de quelques mois, n’ayant d’autre preuve de vocation pour l’épiscopat que l’histoire de cette aimable Aline. Aussi l’auteur prit-il son parti en galant homme, et au lieu d’ambitionner le rochet et l’étole, il alla ceindre son épée et faire la guerre aux ennemis du roi en Hesse. Sérieusement parlant, son conte de la Reine de Golconde est un peu libre, mais à cela près, le plus joli ouvrage qui ait paru en ce genre depuis longtemps. M.  de Voltaire pourrait l’avouer sans honte ; et quoiqu’il ne soit pas infiniment moral, je donnerais volontiers pour lui tous les contes moraux de M.  Marmontel. Ce sujet était charmant à placer sur le théâtre, et on nous annonçait depuis deux ans un opéra fait par M.  Sedaine et M.  de Monsigny, qui devait faire époque sur l’ennuyeux théâtre de l’Académie royale de musique. Cet opéra vient d’être joué[1] avec un succès qu’il faut attribuer à la dépense que les directeurs de ce spectacle ont faite en habits et en décorations, car d’ailleurs le public n’a point reconnu dans le poëme le génie et la touche de M.  Sedaine, et les connaisseurs ont trop bien retrouvé dans la musique les maigres talents de M.  de Monsigny. Mais comme il y a à Paris mille personnes en état d’apprécier le mérite d’un poëme, contre une qui se connaisse en

  1. Aline, reine de Golconde, fut représentée pour la première fois le 15 avril 1766. (T.)