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SEPTEMBRE 1767.

matière en faisant un parallèle dans sa Poétique entre la tragédie grecque et la tragédie française. Je suis las d’entendre du bavardage sur un objet si important ; il prouve que ses auteurs ne sont pas dignes de parler de morale, et peut-être que nous ne sommes pas dignes d’en avoir une meilleure.

Le second point sur lequel j’ai voulu arrêter M. de Beaumarchais tombe sur une matière moins grave. Il s’agit de savoir s’il convient d’écrire le drame sérieux en vers ou en prose ? M. de Beaumarchais se déclare, à l’exemple de M. Diderot, pour la prose. Je prévois que tôt ou tard cette question produira encore une querelle littéraire, car M. de Saint-Lambert ne peut pardonner à M. Diderot d’avoir donné la préférence à la prose sur les vers pour les ouvrages dramatiques et, s’il en trouve l’occasion, je suis persuadé qu’il combattra cette opinion publiquement. Voyons à arranger ce procès d’avance, et surtout allons au fait.

Il ne peut pas être question s’il faut écrire les pièces de théâtre en prose, lorsque dans une langue la poésie peut avoir tous les avantages de la prose combinés avec les avantages qui lui sont propres. Il est visible qu’il faut donner alors la préférence à la poésie. Le mérite d’écrire en vers est alors un mérite de plus, si les vers peuvent conserver au dialogue dramatique bien exactement la simplicité, la facilité, la flexibilité, la concision, le naturel, la rapidité du discours. Je serais bien fâché que Metastasio eût écrit en prose, je serais bien fâché que Terence n’eût pas écrit ses pièces en vers ; mais quels vers ! Montrez-moi un seul morceau parmi tous nos ouvrages dramatiques digne d’être mis à côté de la première scène de l’Andrienne.

La question se réduit donc purement et simplement à savoir si la langue française a un vers dramatique, et si le vers alexandrin qu’elle emploie, ou toute autre espèce de vers qu’elle pourrait employer, n’est pas incompatible avec la vérité et le naturel qu’exige le vrai dialogue. Je crois que ce dernier point peut être prouvé sans réplique, et qu’il est impossible qu’une langue qui n’observe point de prosodie dans ses vers, dont la prosodie est même toujours sourde, et qui se contente de compter les syllabes de ses vers sans s’embarrasser de leur mesure, qu’il est impossible, dis-je, qu’une telle langue ait