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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

valu l’agrément de payer un écu une petite brochure qui valait vingt sols. L’esprit de prohibition est bon à quelque chose, puisqu’il met un libraire à portée de rançonner le public et de s’enrichir promptement. Il est vrai que la publicité de l’Ingénu n’a pas été de longue durée ; les prêtres et leurs suppôts ont crié, et l’on vient d’en défendre le débit très-sévèrement. Le libraire en avait vendu plus de quatre mille en très-peu de jours ; ainsi, il peut prendre patience. On m’a assuré que l’édition de Paris est entièrement conforme à l’édition de Genève, que je n’ai point vue, excepté que dans la seconde partie le nom de Saint-Pouange est en lettres initiales seulement et qu’on a ôté du frontispice les mots : Manuscrit trouvé dans les papiers du R. P. Quesnel. Ce roman a eu un succès prodigieux à Paris. La première partie est charmante ; la seconde a paru un peu sérieuse à beaucoup de monde, et à moi un peu languissante en certains endroits. Je crois, par exemple, que les conversations du Huron et du janséniste, durant leur séjour à la Bastille, pouvaient être beaucoup plus piquantes, et qu’en cet endroit l’auteur languit un peu. C’est pourtant une plaisante idée de faire convertir un janséniste de la grâce efficace à la raison par un petit sauvage d’Amérique. La conversation du P. Tout-à-tous, jésuite, avec Mlle de Saint-Yves, est un chef-d’œuvre. En général, c’est un phénomène unique qu’un homme qui, à l’age de soixante-quatorze ans, écrit avec cette gaieté, avec cette grâce, ce feu, ce charme et cette prodigieuse facilité : car il faut savoir que depuis longtemps M. de Voltaire ne relit plus ce qu’il imprime, et que c’est son premier brouillon que nous lisons. Si ces productions hâtées n’ont pas la correction de ses anciens ouvrages, il faut convenir que la plus médiocre d’entre elles suffirait pour faire de la réputation à un homme.

Le soin que M. de Voltaire prend de nous amuser par des ouvrages agréables ne lui fait pas perdre un instant de vue les intérêts et la cause de la philosophie. Il vient de venger l’auteur de Bélisaire des coups que le cuistre Cogé lui a portés dans une nouvelle édition de son Examen de Bélisaire. Ce cuistre Cogé serait un dangereux coquin s’il avait autant de pouvoir que d’envie de nuire ; heureusement, l’état naturel d’un cuistre est d’être dans la boue, et l’esprit du siècle de l’y laisser. Le pamphlet nouveau de Ferney, dont je ne connais