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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

supérieure ; mais elle est bien mal exécuté dans le livre dont il s’agit. L’auteur est un homme bilieux qui veut faire le plaisant ; mais il est presque toujours mauvais plaisant, il joue sans cesse sur le mot ; il n’a point de goût, il a un mauvais ton, et il est souvent plat. Il gâte aussi presque toujours ce qu’il a dit de bien parce qu’il y ajoute. C’est un singe du patriarche de Ferney, qui veut imiter sa gaieté, ses plaisanteries, qui les pille même quelquefois, mais qui ne fait jamais que des singeries. D’ailleurs il a la plus belle aversion pour les prêtres, et cette haine perce à travers toutes ses plaisanteries et en attriste la lecture. Ce livre est excessivement rare, et le sera longtemps. Il n’aura point de succès ; sans faire aucun bien, il nuira parce qu’il fera redoubler l’inquisition et la persécution. Si l’auteur est en France, je le trouve fou à lier de jouer son repos et son bonheur pour le plaisir de jeter des pierres contre une vieille masure gardée par des dogues qui déchirent tous ceux qui ne passent pas sans lever les yeux. Je vais transcrire quelques-uns des articles de ce dictionnaire, choisis dans la lettre A pendant le peu d’instants que je l’ai tenu. Ce ne sont pas les plus mauvais, et l’on aurait tort de se former une idée de ce livre d’après les échantillons que vous allez voir.

Abbayes. Asiles sacrés contre la corruption du siècle, qui dans des temps de foi vive furent fondés et dotés par de saints brigands, et destinés à recevoir un certain nombre de citoyens ou de citoyennes très-utiles, qui se consacrent à chanter, à manger, à dormir, le tout pour que leurs concitoyens travaillent avec succès.

Abnégation. Vertu chrétienne qui est l’effet d’une grâce surnaturelle. Elle consiste à se haïr soi-même, à détester le plaisir, à craindre comme la peste tout ce qui nous est agréable : ce qui devient très-facile au moyen d’une dose suffisante de grâce efficace pour entrer en démence.

Abraham. C’est le père des croyants. Il mentit, il fut cocu, il se rogna le prépuce, il montra tant de foi que si un ange n’y eût mis la main il coupait la jugulaire à son fils, que le bon Dieu, pour badiner, lui avait dit d’immoler. En conséquence, Dieu fit une alliance éternelle avec lui et sa postérité ; mais le fils de Dieu a depuis anéanti ce traité pour de bonnes raisons que son papa n’avait point pressenties.