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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

que je ne conseille à aucun pilote politique de s’y fier. Et puis, quand on aura remedié aux erreurs et aux bévues par l’évidence tout court, les passions ne feront donc plus aucun mal, ne causeront plus aucun désordre public ? Ces messieurs ne font pas assez de cas des passions pour les faire entrer dans leurs calculs politiques, ou bien quand ils daignent en faire mention, ils les garrottent et les enchaînent également par l’évidence ; il est d’expérience journalière que rien n’arrête la passion comme un argument en bonne forme. J’ai été tenté quelquefois d’envoyer au mardi de M. de Mirabeau le syllogisme suivant, bien sur que les membres ruraux le signeraient comme infaillible. « Si quelque chose est évident, de toute évidence ; de cette évidence déclarée par ces messieurs irrésistible, c’est que le système qui a prévalu en Europe de faire des emprunts publics pour les besoins de l’État, et d’en employer ensuite les revenus à acquitter les intérêts dus a ces emprunts, que ce système, dis-je, est non-seulement ruineux, mais absolument meurtrier, et qu’il expose tôt ou tard le gouvernement qui l’adopte à l’alternative inévitable, ou de ruiner la plus riche portion de ses sujets par une banqueroute générale, ou d’écraser et d’abîmer la plus petite portion de ses sujets par des impôts exorbitants et destructeurs. Donc il est évident que non-seulement les gouvernements de France et d’Angleterre n’emprunteront plus une obole, mais qu’il est même impossible qu’ils aient contracté, depuis un siècle environ, toutes ces dettes immenses dont le détail effraye quelquefois dans les papiers publics. Donc il est constant et certain que l’évidence du mal résultant inévitablement de ces emprunts n’a jamais pu permettre à aucun despote légal de charger la chose publique du fardeau d’une dette nationale… » La plupart des raisonnements politiques de ces messieurs sont exactement de cette force.

Mon dernier grief centre le mardi des laboureurs-économistes, c’est qu’ils sont ennemis des beaux-arts. Tout homme qui n’est pas à la queue d’une charrue est à leurs yeux un citoyen inutile et presque pernicieux, à moins qu’il ne soit du mardi de M. de Mirabeau. Ils oublient à tout moment que le cultivateur serait réduit à un état de pauvreté bien grand s’il n’y avait de consommateurs que des cultivateurs. Cependant si